Manifestations atypiques du RGO : il faut rester prudent !

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les expressions cliniques atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO
  • Établir la démarche face à desmanifestations cliniques atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO
  • Interpréter les examens complémentaires dans un contexte de symptômes atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO
  • Préciser les démarches thérapeutiques face à des manifestations cliniques atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO

Conflits d’intérêt

– Conférence, expertise : Mayoli Spindler,Alfa‑Wassermann,Accense, Pileje, Abbott, Covidien
– Subventions pour des recherches : Biocodex, Mayoli‑Spindler, Pileje, Mederi Therapeutics
– Participation financière à des entreprises : Aucune

Remerciements

Au Docteur Béatrice Dupin pour sa relecture et ses conseils

 

Les expressions atypiques du RGO sont nombreuses ; elles sont dominées par des manifestations respiratoires, ORL et douloureuses thoraciques. Associées à des manifestations digestives, leur diagnostic est plutôt aisé au moins lors des approches initiales.

Les principales difficultés sont liées à leur survenue isolée sans manifestation digestive évocatrice et/ou à leur persistance après un traitement par antisécrétoires. L’affirmation de la réelle responsabilité d’un RGO dans leur survenue reste souvent difficile dans ces 2 circonstances.

Connaître les expressions cliniques atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO

Le large spectre clinique du RGO est bien décrit par le consensus de Montreal [1]. On considère ainsi des syndromes œsophagiens et des syndromes extra-œsophagiens. Au sein des syndromes extra-œsophagiens, de nombreuses pathologies sont citées l’association étant considérée « établie » ou restant « proposée » (Tableau I). Si ces manifestations n’ont pas réellement changé ces dernières années, leur attribution à un RGO a tendance à augmenter, et notamment pour les manifestations ou syndromes ORL. Surtout si le RGO peut être à l’origine ou contribuer à ces manifes­tations, leur pathogénie n’est pas ­univoque et reste mal établie.

Syndromes oesophagiens Syndromes extra-oesophagiens
Syndromes symptomatiques Lésions oesophagiennes Associations « établies » Associations « proposées »
1. Syndrome de reflux typique 1. OEsophagite 1. Toux de reflux 1. Pharyngite
2. Syndrome douloureux thoracique 2. Sténose 2. Laryngite de reflux 2. Sinusite
3. Endobrachy‑oesophage 3. Asthme de reflux 3. Fibrose pulm.
4. Adénocarcinome de l’oesophage 4. Érosions dentaires liées au reflux 4. Otite moyenne récidivante

En pratique les expressions cliniques qui font le plus souvent évoquer un RGO sont d’ordre ORL ou pulmonaire. Les modifications de la voix, et en particulier la dysphonie matinale, la fatigabilité vocale de fin de journées dans les professions exposées (enseignants) font très souvent évoquer la possibilité d’un RGO. Également la survenue en période nocturne de la toux faisant évoquer un aspect positionnel, voire la toux survenant à l’effort font évoquer cette responsabilité potentielle du RGO. On considère que le RGO est la troisième cause de toux chronique après l’asthme et l’écoulement post-nasal, représentant environ 20 % des situations de toux chronique. Dans l’asthme, la présence d’un RGO est fréquente et estimée autour de 40 % des patients.

Il faut aussi rappeler que le RGO peut être à l’origine de douleurs thoraciques ayant parfois les caractères d’une angine de poitrine de repos répondant peu ou pas aux myorelaxants. Dans toutes ces situations et en particulier dans la dernière, l’évocation d’un RGO n’arrive qu’après l’élimination rigoureuse d’un diagnostic d’organe.

Établir la démarche face à des manifestations cliniques atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO

Ce n’est qu’à la suite des approches initiales d’organe que la responsabilité d’un RGO est évoquée. La demande peut émaner des spécialistes d’organe mais aussi de plus en plus souvent des patients eux-mêmes face à une symptomatologie persistante et non améliorée par les traitements. L’attribution des ces manifestations au RGO, et parfois de façon très affirmée, ne fait qu’accroître l’incompréhension des patients. Ainsi la situation s’apparente fréquemment à un RGO résistant aux traitements dont on sait que la cause première est l’absence de RGO [2].

La démarche doit d’abord s’assurer de l’absence de prises de traitements susceptibles de modifier (voire de faciliter) l’éventuel RGO responsable, ou dans le cas contraire les faire interrompre. En l’absence de traitement antisécrétoire et même si son rendement est très faible, l’endoscopie à la recherche de lésions d’œsophagite reste une première étape logique de la démarche. Outre la mise en évidence de lésions spécifiques l’endoscopie doit préciser : 1) les distances et rapports entre la jonction œso-gastrique et le cardia muqueux, et ainsi 2) les repères centimétriques permettant le bon placement d’une sonde d’exploration. Il reste important de rappeler au patient et à son médecin traitant que la mise en évidence d’une hernie hiatale ne constitue pas un argument en faveur suffisant pour établir le diagnostic de RGO.

La démarche consiste ensuite à établir la réalité d’un RGO et de son rôle dans les manifestations observées. En l’absence d’un traitement antisécrétoire, la pHmétrie reste l’examen le plus approprié pour mettre en évidence une exposition acide œsophagienne pathologique et/ou la présence d’une relation temporelle entre la survenue des symptômes et des épisodes de reflux. Dans ces manifestations atypiques, il faut noter la vraisemblable supériorité de la capsule pHmétrique sur la pHmétrie conventionnelle filaire. Outre les conditions plus physiologiques d’enregistrement, c’est surtout la durée d’enregistrement de 48 h, voire 96 h qui constitue un avantage diagnostique. Cependant malgré leur apport, ces enregistrements prolongés sont bien rarement effectués en l’absence de prise en charge permettant d’en ­couvrir les frais.

Interpréter les examens complémentaires dans un contexte de symptômes atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO

L’interprétation des examens complémentaires dans des contextes de manifestations atypiques susceptibles d’être liées à un RGO s’attache à objectiver : 1) le caractère pathologique de l’exposition au reflux (­indépendamment de sa nature acide ou non) et 2) le lien temporel entre la survenue des reflux et la perception des symptômes.

Le caractère pathologique de l’exposition au reflux est défini par les normes établies chez des sujets non symptomatiques à la fois sans traitement et avec traitement antisécrétoire [3]. Cependant là encore si la mise en évidence d’une exposition anormale au reflux établit la réalité d’un RGO pathologique, elle ne permet pas d’affirmer sa responsabilité dans la genèse des symptômes extra-digestifs. Dans le contexte des manifestations ORL ­susceptibles d’être liées au RGO, les enregistrements pHmétriques oro-pharyngés n’ont pas permis d’établir ce diagnostic avec certitude. En effet d’une part les critères définissant un reflux pharyngo-laryngé ne sont pas établis et d’autre par les études n’ont pas véritablement établi de liens entre les possibles reflux pharyngo-laryngés et les données de l’impédancemétrie œsophagienne [4].

La mise en évidence d’un lien temporel entre la survenue des reflux et la perception des symptômes ou leur expression est un argument fort. La force de ce lien doit reposer sur les indices validés calculées, et en particulier le SAP (Probabilité d’association symptomatique) et le SI (index symptomatique). En réalité l’expression relativement continue ou chronique de certaines de ces manifestations extra-digestives rend difficile l’établissement de ce lien.

Enfin d’autres approches pourraient dans l’avenir contribuer à mieux établir la réalité d’un RGO dans ces manifestations extra-digestives. Ainsi la détermination d’une valeur moyenne basse de l’impédance basale œsophagienne pourrait aussi avoir un intérêt car elle semble associée à un taux de réponse thérapeutique aux IPP plus élevé [5]. La mesure de l’impédance muqueuse œsophagienne réalisée lors de l’endoscopie peut détecter la réalité d’un RGO avec une spécificité élevée ; elle pourrait avoir un réel intérêt notamment chez les patients ayant des symptômes extra-œsophagiens [6, 7]. La mesure de la concentration de pepsine salivaire pourra aussi avoir un intérêt lorsque les seuils diagnostiques de détection seront mieux établis [8].

Préciser les démarches thérapeutiques face à des manifestations cliniques atypiques compatibles avec un diagnostic de RGO

Le traitement d’un RGO n’est pas justifié en l’absence d’un lien de cause à effet établi. Cependant en pratique, et malgré sa médiocre spécificité le traitement d’épreuve est pratiquement toujours fait à visée diagnostique. Ce traitement d’épreuve est le plus souvent conduit de façon non standardisée. On peut dans ce contexte proposer de suivre les recommandations des traitements d’épreuve ou ceux utilisés dans les essais thérapeutiques [4, 9]. Il s’agit alors d’une double dose quotidienne en 2 prises pendant au moins 3 mois. Outre le traitement lui-même, l’évaluation de son efficacité devrait faire l’objet d’une évaluation rigoureuse (par exemple par un interrogatoire spécifique des symptômes évalués ou un questionnaire validé) avant et à la fin du traitement. Dans les condi­tions actuelles, le test thérapeutique reste le plus convainquant, malgré une valeur prédictive positive ­discutable.

Les approches invasives – et donc principalement chirurgicales – doivent ­rester très limitées et n’être évoquées qu’après : 1) un bilan diagnostique complet et convainquant et 2) l’élimination de tous les facteurs susceptibles de faciliter la survenue d’un RGO, et en particulier un surpoids. En effet chez les patients ayant des symptômes extra-œsophagiens, la réponse clinique à la chirurgie est globalement moins bonne que chez ceux ayant des symptômes digestifs, et d’autant plus en l’absence d’une réponse preopératoire aux antisécrétoires. Également les résultats de la chirurgie anti-reflux ne semblent pas nettement influencés par la sévérité de l’exposition acide [10]. En pratique on peut aussi recommander de renforcer le lien de causalité en confirmant la reprise des symptômes à l’arrêt des IPP.

Références

  1. Vakil N, van Zanten SV, Kahrilas P, et al. The Montreal definition and classification of gastroesophageal reflux disease: a global evidence-based consensus. Am J Gastro­enterol 2006;101:1900-20.
  2. Roman S, Keefer L, Imam H, et al. Majority of symptoms in esophageal reflux PPI non-­responders are not related to reflux. Neuro­gastroenterol Motil 2015;27:1667-74.
  3. Zerbib F, Bruley des Varannes S, Roman S, et al. Normal values and day-to-day variability of 24-h ambulatory oesophageal impedance-pH monitoring in a Belgian-French cohort of healthy subjects. Aliment Phar­macol Ther 2005;15:1011-21.
  4. Dulery C, Lechot A, Roman S, et al. A study with pharyngeal and esophageal 24-hour pH-impedance monitoring in patients with laryngopharyngeal symptoms refractory to proton pump inhibitors. Neurogastroenterol Motil 2017 Jan;29(1). doi: 10.1111/nmo.12909. Epub 2016 Jul 18.
  5. Ribolsi M, Savarino E, De Bortoli N, et al. Reflux pattern and role of impedance-pH variables in predicting PPI response in patients with suspected GERD-related chronic cough. Aliment Pharmacol Ther 2014;
    40:966-73.
  6. Kavitt RT, Lal P, Yuksel ES, et al. Esophageal Mucosal Impedance Pattern is Distinct in Patients With Extraesophageal Reflux Symptoms and Pathologic Acid Reflux. J Voice. 2016 Aug 2. pii: S0892-1997(16)30160-6. doi: 10.1016/j.jvoice.2016.06.023. [Epub ahead of print]
  7. Vaezi MF, Choksi Y. Mucosal Impedance: A New Way To Diagnose Reflux Disease and How It Could Change Your Practice. Am J Gastroenterol. 2016 Dec 13. doi: 10.1038/ajg.2016.513.
  8. Hayat JO, Gabieta-Somnez S, Yazaki E, et al. Pepsin in saliva for the diagnosis of gastro-oesophageal reflux disease. Gut 2015;64:
    373-80.
  9. Shaheen NJ, Crockett SD, Bright SD, et al. Randomised clinical trial: high-dose acid suppression for chronic cough – a double-blind, placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther 2011;33:225-34.
  10. Krill JT, Naik RD, Higginbotham T, et al. Association between response to acid-suppression therapy and efficacy of antireflux surgery in patients with extraesophageal reflux. Clin Gastroenterol Hepatol 2016; (in press).

Les Cinq points forts

  1. L’affirmation de la réelle responsabilité d’un RGO dans la survenue des manifestations extra-digestives isolées reste difficile.
  2. Les principales difficultés sont liées à leur survenue isolée sans manifestation digestive évocatrice et/ou à leur persistance après un traitement prolongé d’au moins 3 mois, et à double dose, par les Inhibiteurs de la Pompe à Protons (IPP).
  3. Les explorations diagnostiques sans thérapeutique associé, idéalement à l’aide de la pHmétrie prolongée, sont utiles pour affirmer la réalité d’un reflux en terme d’exposition acide et parfois de relation symptômes-reflux.
  4. Dans la caractérisation des manifestations extra-digestives persistantes sous traitement prolongé ( 3 mois) par IPP double dose la pHimpédancemétrie est réalisée en maintenant le traitement antisécrétoire pour déterminer la persistance de reflux acides ou peu acides.
  5. Dans les manifestations extra-digestives, les approches invasives doivent être limitées, et sont associées à de moins bons résultats cliniques que dans les symptomatologies digestives évocatrices de RGO.