Constipation réfractaire

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la définition d’une constipation réfractaire
  • Connaître les schémas thérapeutiques des prises en charge médicamenteuses
  • Connaître les indications des prises en charge non médicamenteuses

Introduction

La constipation est une plainte et un motif fréquent de recours aux soins, surtout en médecine générale. En pratique habituelle, la prise en charge de la constipation s’inscrit dans une démarche progressive, tant sur le plan diagnostique que thérapeutique. En réalité, la banalité de la plainte contribue à la mise en place de démarches avant tout pragmatiques. De plus, la multiplicité des démarches thérapeutiques favorise des attitudes qui font se succéder des traitements d’épreuve associant souvent plusieurs approches, et notamment hygiéno-diététiques et médicamenteuses. Il n’existe pas de définition consensuelle ou officielle de la constipation réfractaire. En pratique, face à un patient insatisfait, avec une amélioration qu’il juge insuffisante après plusieurs tentatives de différents traitements, on évoque une constipation « chronique », « sévère » ou « réfractaire ». Le plus souvent, il s’agit de patients ayant un rythme défécatoire lent avec moins d’une à 2 exonérations spontanées par semaine, parfois associé à des manifestations sub-occlusives. En pratique et de façon schématique, il s’agit d’un patient n’ayant pas répondu à l’instauration des règles hygiéno-diététiques et aux laxatifs habituels, et notamment les laxatifs osmotiques.

Récemment, un groupe d’experts européens a proposé des démarches progressives que nous avons reprises pour l’essentiel et en les actualisant avec les molécules les plus récentes [1].

Démarche initiale face à une constipation d’allure réfractaire

On peut décomposer la démarche initiale en 3 temps principaux :

  • caractériser un mécanisme physiopathologique prédominant,
  • s’assurer de l’absence d’une constipation secondaire,
  • s’assurer du caractère réellement réfractaire de la constipation.

Caractériser par la clinique un mécanisme physiopathologique prédominant

Lorsque la constipation est considérée réfractaire, il importe d’adopter une approche et une démarche systématique, le patient étant généralement en situation de recours. Outre l’historique de la constipation, l’interrogatoire initial détaillé permet de distinguer les constipations chroniques des formes transitoires ou intermittentes. À cette étape, il importe de préciser le rythme des exonérations et les conditions des exonérations (consistance des selles, efforts de poussée, sensation d’évacuation incomplète et/ou de blocage ano-rectal, impactions fécales, manœuvres digitales…). L’histoire et les antécédents du patient ainsi que les circonstances ou facteurs favorisants (notamment thérapeutiques), ou associés à une amélioration permettent également de préciser le contexte, comme certaines manifestations associées (épisodes sub-occlusifs, maladie hémorroïdaire, troubles de la continence…). Le remplissage d’un calendrier des selles et des conditions d’exonération sur quelques semaines rend cette évaluation plus objective. Il est utile de s’aider de scores validés comme le score de Kess ou de Cleveland et de l’échelle de Bristol pour la consistance moyenne des selles (Fig. 1 et Fig. 2). Il faut également à ce stade vérifier si la constipation est isolée ou s’intègre dans un tableau de SII, avec une composante douloureuse abdominale modulée par les exonérations.

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Figure 1. Score de constipation de Kess

L’examen clinique doit être refait de façon systématique et comprendre un examen général et ano-rectal soigneux. L’inspection anale et périnéale, statique et surtout dynamique, est -souvent informative. Associées à un toucher rectal avec manœuvres de poussée et de retenue, ces étapes initiales permettent déjà de déceler la participation d’une dysfonction de la dynamique pelvienne [2]. La coloscopie a généralement déjà été réalisée dans ces formes réfractaires ; dans le futur, il pourra être utile de réaliser des biopsies au cours de la coloscopie (voire même transpariétale quand les conditions de sécurité seront maîtrisées) pour caractériser d’éventuelles anomalies du système nerveux entérique et/ou de la présence de médiateurs de l’inflammation comme au cours de la maladie de Parkinson.

S’assurer de l’absence d’une constipation secondaire

Les principales causes de constipation secondaire sont rappelées dans le Tableau I. Si le problème se pose peu pour les causes organiques, la coloscopie ayant permis de vérifier leur absence, il faut en revanche s’assurer de façon très systématique de l’absence de causes médicamenteuses (Tableau II). Dans ce cadre, les constipations sévères observées dans certaines conditions nécessitant un recours aux opiacés (environ 50 % des patients) peuvent bénéficier des antagonistes des récepteurs aux opiacés comme la naloxone, la méthylnaltrexone (0,15 mg/kg s.c. ) [3]. De même, il est indispensable de s’assurer que les possibles origines endocriniennes ou neurologiques ont bien été éliminées. Certaines constipations peuvent en effet précéder de plusieurs années l’expression clinique de la maladie responsable, comme on le voit parfois dans la maladie de Parkinson.

14_de_Varannes_2Figure 2. Échelle de consistance de selles de Bristol

Tableau I. Principales atteintes à rechercher
pour écarter une constipation secondaire

Atteintes organiques digestives Cancers, affections sténosantes, compressions
digestives, lésions/atteintes ano-rectales,
maladie de Hirschprung
Maladies générales métaboliques
et endocriniennes
Insuffisance rénale, collagénoses (sclérodermie),
amylose, pseudo obstruction intestinale, diabète,
hypothyroïdie, hypercalcémie, insuffisance
hypophysaire, atteintes dysimmunitaires…
Causes–neurologiques Lésions centrales (vasculaires, tumorales,
dégénératives), maladie de Parkinson, dysautonomie…

Tableau II. Principaux médicaments associés à un risque accru de constipation

Opiacés Antiparkinsoniens
Antidépresseurs tricycliques Diurétiques
Neuroleptiques Suppléments en fer
Anticholinergiques

Chez les sujets âgés ou en institution, et compte tenu de la multiplicité des facteurs favorisant la constipation et même les impactions fécales, il importe de les rechercher par le toucher rectal et de prévenir leur récidive par des traitements locaux. En effet, et au besoin après fragmentation digitale, les lavements locaux, voire les irrigations coliques rétrogrades en association avec des laxatifs, permettent de contrôler la situation.

S’assurer du caractère réellement réfractaire de la constipation

En pratique, cela revient à s’assurer que les premières lignes de traitements ont été bien conduites. Si ces lignes de -traitement ne sont pas l’objet de recommandations très précises, elles reprennent pour l’essentiel les grands principes appliqués dans la pratique. Ces principes ont été décrits dans les Recommandations de Pratique Clinique de la SNFGE publiées en 2007 [4]. Les agents utilisés à ces niveaux sont rappelés dans le Tableau III. Le premier niveau thérapeutique associe principalement le rappel de mesures hygiéno-diététiques (habitudes et rythmes défécatoires, aliments riches en résidus, activité physique, éviction possible de médicaments favorisants) et la prescription de laxatifs, en particulier à pouvoir osmotique (polyéthylène glycol, lactulose, sorbitol). Leur dosage progressif permet de limiter l’inconfort abdominal, et notamment les ballonnements observés en début de traitement, et sources d’une moins bonne compliance. Ces étapes restent empiriques et doivent s’aider des « retours » patients et de la prescription des autres agents laxatifs, notamment les mucilages et les lubrifiants souvent en complément des laxatifs osmotiques [1, 4].

Tableau III. Agents médicamenteux couramment utilisés dans la prise en charge initiale d’une constipation (ligne 1)

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Même si il s’agit d’agents puissants et en vente libre qu’on ne propose pas en première intention, on peut ajouter à cette étape de la démarche l’utilisation des laxatifs irritants et des anticholinestérasiques qui permettront déjà d’évaluer un degré de réponse. Ainsi lorsque laxatifs osmotiques et mucilages restent insuffisants, la prescription de laxatifs irritants (anthraquinones et dyphénylméthanes) dans les formes les plus résistantes, peut être envisagée de façon intermittente (Tableau III). Les anthraquinones sont représentés principalement par les dérivés du séné qui sont responsables de la pigmentation des cellules épithéliales, donnant l’aspect de mélanose colique. Leur efficacité est réelle, mais ils ont été longtemps déconseillés car largement associés à la maladie des laxatifs. Ces dernières années, leur utilisation est devenue plus large, même si elle reste peu recommandée au long cours ; les risques de désordres hydro-électrolytiques, hypokaliémie surtout, ne semblent pas très importants, en dehors de prises médicamenteuses concomitantes. Les diphénylméthanes, principalement représentés par le bisacodyl, sont également plus facilement utilisés. Leur efficacité est maintenant bien établie avec une augmentation réelle du nombre d’exonérations par semaine, et avec là encore peu de modifications électrolytiques [5].

De même, et en particulier lorsqu’existent des manifestations pseudo-obstructives, les inhibiteurs de la cholinestérase peuvent aider à contrôler des épisodes aigus sévères. Leur efficacité a surtout été documentée dans les manifestations sub-occlusives [6], mais également dans plusieurs observations isolées. Récemment chez des diabétiques ayant un certain degré de neuropathie, un essai randomisé, contrôlé et en double aveugle a établi que la pyridostigmine accélérait le transit colique, augmentait le nombre d’exonérations et améliorait la consistance des selles et la facilité d’exonération [7]. Le plus souvent, dans ces conditions, la pyridostigmime est donnée par voie orale, en ajustant les doses progressivement (par exemple en débutant entre 30 et 60 mg par jour en deux ou trois prises) jusqu’à observer une efficacité clinique, et tout en se maintenant en dessous des doses induisant des manifestations cholinergiques (hypersalivation, nausées, céphalées, palpitations…).

Dans les constipations sévères émaillées d’épisodes sub-occlusifs, ces approches peuvent être aidées ou complétées par les traitements physiques ancestraux. Souvent regardées avec incrédulité, les irrigations coliques rétrogrades classiques et de grand volume, éventuellement additionnées de laxatifs, permettent de contrôler les poussées sévères et de reprendre ensuite plus efficacement un traitement laxatif oral.

Au total, l’approche initiale bien conduite et attentive comprend de nombreuses démarches qui, en dépit de leur caractère empirique, restent justifiées par l’amélioration d’un bon nombre de patients, et peuvent faire corriger le diagnostic d’une constipation considérée initialement réfractaire.

Établir un programme progressif de prise en charge à l’aide des molécules récemment développées

En fonction des informations et résultats obtenus lors des étapes précédentes, il est toujours possible de définir une démarche individuelle avec des étapes progressives qui peuvent aider le patient à se projeter sans attendre des solutions immédiates.

En effet, la multiplicité des approches thérapeutiques dans la constipation laisse la possibilité de nombreuses associations qui constituent autant de projets à présenter au patient. Actuellement, le développement de plusieurs nouvelles molécules aux principes actifs différents renforce ces possibilités. Ces molécules, déjà ou bientôt disponibles, accroissent notre arsenal thérapeutique et permettent de multiplier les approches grâce à des mécanismes d’action variés et au besoin complémentaires (motricité, sécrétion, concentration intraluminale de sels biliaires…). Leur utilisation reste encore limitée, soit en raison de leur non -disponibilité actuelle en France soit en raison de leur absence de prise en charge par l’assurance maladie. Les principes d’action et caractéristiques de ces nouvelles molécules sont indiqués dans les Tableaux IV et V.

Tableau IV. Principales modalités d’action des agents pharmacologiques récemment développés dans la constipation

  Motricité Sécrétion Sensibilité/
inflammation
Prucalopride +++ +
Lubiprostone + +++
Linaclotide ++ +++ ++
Elobixibat ++ + ?

Tableau V. Synthèse des données cliniques et des résultats des essais
conduits avec les agents pharmacologiques récemment développés dans la constipation

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Ces nouvelles molécules appartiennent principalement à 4 familles :

  • les agonistes des récepteurs 5-HT4 (prucalopride) ;
  • les agonistes des récepteurs de la guanylate cyclase (linaclotide) ;
  • les activateurs sélectifs des canaux chlore (lubiprostone) ;
  • les inhibiteurs des transporteurs d’acides biliaires (elobixibat).

Les agonistes des récepteurs 5-HT4

Les agonistes des récepteurs 5-HT4, en se fixant sur les récepteurs situés sur les interneurones du SNE, activent le réflexe péristaltique. Initialement peu sélectifs (cisapride, tegaserod), ces agents responsables d’effets indésirables cardiaques, notamment par allongement de l’espace QT et arythmies ventriculaires, ont été retirés du marché ou soumis à une utilisation très limitée. Les agonistes 5HT4 récemment développés, sont hypersélectifs et n’ont pas d’interaction avec le canal potassique hERG responsable des effets précédents ; la bonne tolérance a été montrée dans les essais, et même chez les sujets âgés.

Le prucalopride (Resolor®) réduit le temps de transit colique. Le prucalopride a fait l’objet de plusieurs essais randomisés importants, en administration sur 12 semaines, chez des patients ayant une constipation sévère (£ 2 selles par semaine) [8]. Son efficacité, définie par l’exonération d’au moins 3 selles complètes par semaine, a été observée chez un tiers des patients (avec un taux de répondeurs d’environ 20 % supérieur à celui observé sous placebo). L’efficacité du prucalopride a été démontrée sur les symptômes de la constipation, l’augmentation du nombre de selles, ainsi que la satisfaction et la qualité de vie des patients. Dans une étude poursuivie en ouvert à long terme sur 6 mois, il a été observé que le bénéfice de l’effet se maintenait chez deux tiers des patients [9]. Le prucalopride a reçu une AMM européenne dans le traitement de la constipation chronique chez la femme n’ayant pas répondu à un traitement par les laxatifs. La dose de 2 mg en une prise quotidienne a été retenue, une dose de 4 mg n’entraînant pas de bénéfice supplémentaire. Chez les patients de plus de 65 ans, la dose à utiliser est de 1 mg. Le principal effet indésirable est constitué par les céphalées, généralement transitoires et de durée brève ; des nausées sont rapportées par environ 10 % des patients, généralement transitoires.

Les agonistes des récepteurs de la guanylate cyclase

Le linaclotide (Constella®) est un agoniste des récepteurs de la guanylate cyclase C situés à la face luminale des entérocytes ; il stimule ainsi la sécrétion intestinale, et notamment la sécrétion de chlore et de bicarbonate. Son efficacité a été bien établie dans deux grandes études contrôlées (plus de 1 000 patients) avec deux doses, 145 et 290 g, pendant 12 semaines, chez des patients ayant une constipation sévère avec en moyenne une selle par semaine. Le gain thérapeutique moyen était de deux à trois exonérations par semaine. L’efficacité était aussi observée de façon significative sur le score d’inconfort abdominal, le score de difficultés d’exonération, les ballonnements [10]. La qualité de vie était également significativement améliorée dans ces deux études.

Un avantage potentiel important de cette molécule est lié à ses effets sur la sensibilité viscérale. Les passages de GMPc de l’entérocyte dans les espaces séreux agissent sur les fibres afférentes sensitives sous-muqueuses. Il a été démontré chez l’animal que le linaclotide entraînait une diminution de stimulation des fibres afférentes dans un modèle d’hypersensibilité viscérale. Ces effets interviennent vraisemblablement dans les effets mis en évidence chez des patients ayant un syndrome de l’intestin irritable à constipation prédominante (SII-C) [11 ,12]. Les essais publiés chez ces malades montrent en effet une réduction des douleurs ou de la gêne abdominale et une amélioration globale (patients « très » ou « complètement soulagés » pendant la moitié du temps de traitement) nettement plus marquée que sous placebo. La diarrhée était l’effet indésirable le plus fréquemment rapporté, chez près de 20 % des patients (2,5 % dans le groupe placebo) ; cependant, la survenue d’une diarrhée n’obligeait à l’interruption du traitement que chez moins d’un quart des patients concernés [11]. Le linaclotide a reçu son approbation de la commission européenne pour le traitement symptomatique des formes modérées à sévère de SII-C de l’adulte et non dans le traitement de la constipation idiopathique. Un agent assez proche, le -plecanatide, analogue synthétique de l’uroguanyline, est actuellement en cours de développement et semble avoir montré une efficacité réelle dans la constipation sans effet indésirable important.

Les activateurs sélectifs des canaux chlore

Le lubiprostone (Amitiza®) est un nouveau composé appartenant à la classe des prostones. Ces agents, en activant les canaux chlore de la zone apicale de l’entérocyte, induisent une augmentation de la concentration de chlore dans les sécrétions intestinales, et entraînent de façon passive l’élimination de sodium dans la lumière. La majeure partie de son métabolisme s’effectue au niveau gastro-intestinal, expliquant sa faible biodisponibilité après administration orale. Le lubiprostone semble aussi avoir un effet de stimulation de la motricité intestinale [13]. Il aurait également un effet sur la perméabilité intestinale en restaurant les jonctions serrées. L’efficacité a été montrée dans la constipation chronique à la dose de 24 g 2 fois par jour pendant 4 semaines. En moyenne un gain thérapeutique de 2 à 3 selles spontanément émises par semaine [14] était observé. Une exonération rapide dans les premières 24 h était rapportée significativement plus souvent que chez les patients sous -placebo, 61 % vs 31 % [15]. L’amélioration était également significative sur la consistance des selles, les difficultés d’exonération et les ballonnements abdominaux [15].

Chez les patients ayant un SII-C, le lubiprostone entraînait une amélioration significative de la réponse symptomatique par rapport au placebo [16]. L’effet sur le nombre d’exonérations chez ces patients SII-C semblait se maintenir à long terme. Sur un suivi de plus d’un an, les effets indésirables les plus souvent observés étaient les diarrhées et les nausées [17]. Le lubiprostone est approuvé par la FDA (Amitiza®) depuis 2006 pour le traitement au long cours de la constipation chronique et a été récemment commercialisé au Royaume Uni.

Les inhibiteurs des transporteurs d’acides biliaires

L’elobixibat (A3309) est un inhibiteur sélectif du transporteur iléal des acides biliaires (transporteur apical dépendant du sodium). Il agit en réduisant la réabsorption iléale des acides biliaires, en maintenant donc une concentration intraluminale élevée d’acides biliaires. Leur augmentation intra-colique est associée à une stimulation de la motricité de la sécrétion épithéliale (effet cathartique des acides biliaires). L’elobixibat accélère le temps de transit colique mesuré en scintigraphie chez des patients constipés [18].

Cette molécule a montré, jusqu’à maintenant dans des études de phase II, un effet dose-dépendant avec en moyenne, à 8 semaines de traitement, un passage d’une exonération complète à cinq par semaine. Les efforts de poussées et les ballonnement étaient améliorés significativement par le traitement. La -tolérance était bonne avec comme principaux effets indésirables des -douleurs abdominales et des diarrhées. Cependant cette molécule modifie le cycle entéro-hépatique ; il conviendra de s’assurer de l’absence de modifications importantes des composés impliqués dans la synthèse hépatiques des acides biliaires, et notamment des dérivés du cholestérol et de ses récepteurs sur les hépatocytes [19].

Évoquer et discuter les approches invasives

Lorsque les stratégies précédentes et les molécules plus récentes ont échoué, des approches plus invasives sont à évoquer. Compte tenu de résultats encore mal établis et de l’absence de caractères prédictifs de succès, la prudence s’impose. Plus encore que dans les étapes précédentes, la non-réponse aux traitements doit être documentée et vérifiée.

Face à un diagnostic confirmé de constipation réfractaire sur 2 lignes d’approches thérapeutiques précédentes (Fig. 3 et Fig. 4), il importe de préciser le bilan clinico-fonctionnel déjà réalisé et son ancienneté. Si ces explorations ne sont pas récentes (dans les 12 à 24 mois), il faut refaire ces explorations pour établir avec certitude les mécanismes en présence. La grande simplicité de la mesure du temps de transit des marqueurs, si possible sans traitement laxatif simultané, et son faible coût en font un test qui peut être réalisé beaucoup plus tôt dans le suivi d’une constipation. Dans le futur, des capsules ambulatoires mesurant les temps de transit dans les différents segments digestifs auront sans doute une place [20]. Le temps de transit des marqueurs dans le côlon permet de confirmer un ralentissement et/ou de spécifier un mécanisme prédominant. Si le mécanisme apparaît terminal, une manométrie ano-rectale avec expulsion des ballonnets et une défécographie ou, plus fréquemment maintenant, une déféco-IRM permettent de documenter la réalité d’une anomalie anatomo-fonctionnelle : intussusception intra-rectale, rectocèle, asynergie ano-rectale… L’absence confirmée à plusieurs reprises du réflexe recto-anal inhibiteur, et notamment après plusieurs jours de désencombrement rectal, fait évoquer une aganglionose et pratiquer une biopsie rectale chirurgicale.

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Figure 3. Schématisation des étapes face à une constipation réfractaire
pour en définir le caractère réfractaire aux laxatifs et le caractère réfractaire aux
agents à action pharmacologique spécifique.
TTM : temps de transit colique des marqueurs – MAR : Manométrie ano-rectale –
TEB : test d’expulsion des ballonnets

14_de_Varannes_5Figure 4. Proposition d’une démarche de caractérisation d’une constipation
réfractaire avec classification en constipation de transit, constipation
fonctionnelle, et constipation terminale ou d’évacuation. La démarche est fondée
sur les résultats de la manométrie ano-rectale et du test d’expulsion des
ballonnets. En pratique courante, compte tenu de sa simplicité, la mesure
du temps de transit des marqueurs est souvent réalisée précocement
dans la prise en charge et peut être refaite pour confirmer le résultat. Adapté de 1.

Cæcostomie endoscopique percutanée

Initialement utilisée chez l’enfant, l’appendicostomie iliaque droite (intervention de Malone) permet la réalisation d’irrigations antérogrades régulières. Progressivement l’intervention a été faite chez l’adulte en réalisant si besoin une cæcostomie ; plus récemment, la technique a évolué vers la cæcostomie endoscopique percutanée (CEP) avec cæcopexie à la paroi antérieure abdominale par des ancres métalliques et mise place d’un cathéter de Chait (Fig. 5). Les résultats obtenus avec le Malone chirurgical sont satisfaisants, et il est raisonnable de penser que, par voie endoscopique, ils devraient être proches et moins morbides [21]. Dans notre expérience portant sur 16 malades ayant une constipation réfractaire, et suivis au moins un an après la procédure, un succès (défini par une diminution du score de Kess et une amélioration de la qualité de vie d’au moins 1 point sur le score GIQLI) a été observé chez 10 patients (58 %), avec le maintien des irrigations coliques régulières au bout d’un an. Les effets indésirables les plus souvent observés ont été les douleurs pariétales ou au niveau du cathéter (53 %) qui ont pu conduire au retrait du dispositif (5 de nos patients). Des fuites essentiellement séreuses (41 %) et des granulations hypertrophiques ont été aussi observées. Un apprentissage postopératoire par une infirmière stomathérapeute est nécessaire pour réduire ces difficultés. Malgré quelques nécessités de mise au point, cette approche semble désormais une alternative intéressante par sa faisabilité et surtout sa réversibilité.

14_de_Varannes_6Figure 5. Séquences de mise en place
d’un cathéter de cæcostomie percutanée endoscopique.
A. Transillumination caecale ; B. ancres métalliques percutanées placées sous
contrôle endoscopique ; C. cæcopexie fixée ; D. fermeture des ancres ;
E. introduction du dilatateur sur fil guide ; F. cathéter de cæcostomie
(Remerciements E Coron).

Neuromodulation des racines sacrées

Comme dans l’incontinence anale, la neuromodulation des racines sacrées a été récemment proposée dans la prise en charge des constipations sévères. Le principe est de stimuler habituellement la racine S3. Le mécanisme d’action potentiel reste inconnu mais associé vraisemblablement à une action sensitive-motrice locale, colique et peut-être centrale. Les données obtenues jusqu’à maintenant sont encourageantes. Après une période de test de 3 semaines s’assurant d’une réponse thérapeutique initiale, un succès a été observé à 28 mois chez 87 % des 45 patients implantés de façon permanente (qui représentaient eux-mêmes 73 % des patients ayant eu une réponse positive à la stimulation temporaire) [22]. Dans cette étude, le nombre moyen d’exonérations passait de 2,3 à 6,6 par semaine. De même, le temps de transit colique revenait dans les limites de la normale chez 11 des 20 patients ayant un temps de transit colique ralenti avant l’implantation. Le temps nécessaire aux exonérations, ainsi que les efforts de poussée et les sensations d’évacuation incomplète, étaient significativement améliorés. Actuellement, l’expérience est insuffisante et n’a pas encore permis d’identifier des facteurs prédictifs de réponse [23]. Compte tenu du coût élevé de cette technique, des études prospectives contrôlées de type coût-efficacité permettront de préciser la place de la neurostimulation des racines sacrées dans la constipation réfractaire. Une étude est actuellement en cours en France dans le cadre d’un Projet Hospitalier de Recherche Clinique (Constimod).

Colectomie – chirurgie rectale

La colectomie totale avec anastomose iléo-rectale est peu pratiquée, mais évoquée dans les formes rebelles. Les colectomies segmentaires ne donnent pas de bons résultats. Malgré la lassitude et la fréquente pression du patient, cette décision exceptionnelle doit être collégiale, et avec un patient clairement informé de la morbidité potentielle du geste. Il importe de s’assurer de la réalité de l’inertie colique, idéalement par une manométrie colique documentant l’absence de réponse à l’alimentation et à la perfusion intra-luminale de bisacodyl. Dans cette démarche, il importe également de vérifier l’absence de troubles psychiatriques et de s’assurer de l’absence d’un trouble diffus de la motricité, notamment d’une pseudo-obstruction intestinale chronique par une manométrie du grêle. De même, il importe de vérifier sur la manométrie ano-rectale et la déféco-IRM l’absence d’anomalie terminale importante, et en particulier d’un mégarectum ou de troubles sévères de la sensibilité rectale à la distension [24]. Cependant, une étude récente a tout de même rapporté de bons résultats lorsqu’une constipation de transit était associée à une composante terminale [25].

Les données concernant les résultats de la colectomie totale avec anastomose iléo-anale restent hétérogènes, les résultats étiquetés « réussite » variant de 40 à 80 % (Tableau VI) [26]. Le recul d’expérience avec la colectomie sous laparoscopie est encore limité, mais il est vraisemblable que cette modalité, éventuellement assistée par robot, réduira encore la mortalité et les risques d’adhérences et -d’occlusion sur bride. Un pourcentage parfois important de patients avec diarrhées postopératoires, voire incontinence, notamment nocturne, est aussi rapporté (Tableau VI).

Tableau VI. Synthèse des résultats de la colectomie totale
pour constipation réfractaire à partie de 31 études (d’après [26])

  Études (n) Médiane (extrêmes)
«Réussite»(%) 31 86–(39-100)
Mortalité(%) 31 2–(0-6)
Occlusion / bride (%) 22 18–(2-71)
Selles/24 h (n) 14 2,9
Diarrhée (%)   14 (0-46)
Incontinence (%) 16 14 (0-52)
Constipation (%) 15 9 (0-33)
Douleurs abdominales(%) 14 41 (0-90)
Échec (iléostomie) (%)   5 (0-28)

Actuellement dans les formes réfractaires confirmées, les approches mini-invasives (cæcostomie endoscopique percutanée, stimulation nerveuse sacrée) doivent être proposées, et si possible dans le cadre d’essais cliniques, avant d’envisager la colectomie.

Lorsque le tableau clinique et fonctionnel dominant est celui d’une obstruction distale, et si le bilan confirme la contribution d’anomalies morpho-fonctionnelles telles qu’une rectocèle, une intussusception ou une entérocèle, une approche chirurgicale, notamment par résection rectale mécanique transanale (technique STARR), doit être discutée. Dans ces conditions, une réduction importante des scores de constipation est habituellement observée. En revanche, dans ces situations il importe d’être beaucoup plus prudent lorsqu’est associée une descente -périnéale au repos ou de médiocres contractions ano-rectales sur la manométrie ano-rectale, car les risques d’impériosité ou d’incontinence postopératoire semblent alors accrus [27]. Les divisions chirurgicales partielles du pubo-rectal antérieurement proposées dans certaines constipations terminales avec anisme ne répondant pas aux injections de toxine botulique sont maintenant abandonnées. D’une manière générale, compte tenu de la difficulté des prises en charge de ces formes sévères et du caractère imparfait des corrélations anatomo-fonctionnelles et anatomo-cliniques, une réunion de concertation pluridisciplinaire en pelvi-périnéologie est particulièrement utile.

Stratégies et conclusion

Face à une constipation réfractaire la stratégie peut être proposée selon 3 lignes principales d’approche et de traitement illustrées sur la Figure 3. Dans la stratégie proposée, les explorations n’arrivent qu’avec la ligne 3. En pratique et selon le contexte clinique il peut être utile de réaliser un temps de transit des marqueurs coliques plus précocement dans la prise en charge, et éventuellement une manométrie ano-rectale dans un contexte clinique très évocateur d’une constipation distale.

La possibilité d’une prise en charge non médicamenteuse va faire suite aux échecs répétés des différentes stratégies ayant notamment compris les plus récentes molécules, et en ayant également testé un grand nombre d’associations de principes actifs. Cette démarche ne peut se concevoir qu’après un bilan fonctionnel exhaustif ayant permis une évaluation de la motricité colique à jeun et en réponse au repas et aux agents stimulants (Fig. 4). En l’absence de critères prédictifs de succès bien définis, il appartient de n’envisager ces solutions thérapeutiques que chez des patients très adhérents, sans profil psychiatrique considéré pathologique, et parfaitement informés des risques et incertitudes de ces approches. À l’heure actuelle, la cæcostomie perendoscopique est une alternative séduisante par sa relative simplicité et sa réversibilité. La colectomie doit encore une fois rester un geste exceptionnel dont l’issue reste incertaine. Surtout, ces approches doivent se faire dans le cadre de concertations pluridisciplinaires, et le plus souvent possible dans le cadre d’essais cliniques pour améliorer et accélérer la définition de ces stratégies difficiles.

Références

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Les Quatre points forts

  1. Les laxatifs irritants et les inhibiteurs de la cholinestérase peuvent être envisagés de façon intermittente dans les constipations réfractaires.

  2. L’approche  thérapeutique  est  améliorée  par  les  nouvelles  molécules ayant  des  mécanismes  d’action  variés :  stimulation  de  la  motricité (prucalopride),  sécrétion  intestinale (linaclotide,  lubiprostone)  et inhibition de l’absorption des sels biliaires (elobixibat).

  3. La  confirmation  d’une  constipation  réfractaire  fait  proposer  une manométrie  colique  pour  évaluer  la  réponse  colique  au  repas  et  aux laxatifs stimulants, lorsqu’une chirurgie est envisagée.

  4. Dans les formes réfractaires confirmées, les approches mini-invasives (cæcostomie  endoscopique  percutanée,  stimulation  nerveuse  sacrée) doivent  être  proposées,  si  possible  dans  le  cadre  d’essais  cliniques, avant d’envisager la colectomie.