Vomissements chroniques inexpliqués de l’adulte

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la physiopathologie des vomissements
  • Mode d'action des anti-émétiques
  • Comment reconnaître les vomissements d'origine neurologique ?
  • Connaître les indications de la scintigraphie gastrique et interpréter ses résultats
  • Vomissements psychogènes : diagnostic et prise en charge
  • Vomissements cycliques idiopathiques : diagnostic et prise en charge

Introduction

Les vomissements sont des contractions cycliques, violentes, de la musculature abdominale, du diaphragme et des muscles respiratoires qui conduisent au rejet brutal par la bouche du contenu gastrique. Les vomissements sont considérés comme chroniques lorsqu’ils durent plus de 7 jours, pouvant alors retentir sur l’état nutritionnel du malade. Ils posent un problème diagnostique et thérapeutique lorsque le bilan habituel, digestif et extra-digestif, est négatif, ne retrouvant pas leurs principales causes, notamment digestives (Tableau I).

Tableau I. Principales causes des vomissements chroniques chez l’adulte

Obstruction mécanique du tube digestif supérieur
Ulcère  ou  cancer  gastrique,  sténose  pylorique  ulcéreuse,  cancer  pancréatique  envahissant  le  duodénum,  pseudo-kyste  pancréatique  compressif
Obstruction mécanique grêlique ou colique
Carcinome  grêlique  ou  colique,  carcinose  péritonéale,  maladie  de  Crohn,  sténose  radique,   sténose  secondaire  à  une  ulcération  induite  par  les  AINS,  adhérences,  brides,  invagination, hernies,  volvulus
Causes neurologiques
Hypertension  intra-crânienne  (tumorale  ou  non),  épilepsie,  syndrome  labyrinthique,  migraine
Causes médicamenteuses et toxiques
Colchicine,  théophylline,  digitaliques,  levodopa,  bêtabloquants,  opiacés,  quinine,  salicylés,  
antibiotiques  dont  érythromycine,  antimitotiques,  dérivés  de  l’ergot  de  seigle,  nicotine,  antiinflammatoires  non  stéroïdiens
Vomissements liés à la grossesse
Vomissements  du  1er trimestre,  hyperemesis gravidarum,  môle  hydatiforme

Physiopathologie du vomissement

Le vomissement est un phénomène moteur actif qui trouve son origine dans le bulbe rachidien où existent deux zones qui le provoquent : le centre du vomissement, situé dans la réticulée du tronc cérébral et une zone chémoréceptrice, uniquement sensible à des stimuli chimiques : la « chemoreceptor trigger zone » ou CTZ, située dans l’area postrema, dans le plancher du 4e ventricule mais partiellement localisée en dehors de la barrière hémato-encéphalique pour la détection de stimuli chimiques endo- ou exogènes (Fig. 1). Le centre du vomissement est activé par des informations venant de cette CTZ mais aussi par des stimulations directes, venant du cortex cérébral (provoquées par une anxiété, une émotion, une douleur, la perception de certaines odeurs), de l’appareil vestibulaire ou par des messages sensitifs périphériques, notamment digestifs ou pharyngés, véhiculés par les nerfs pneumogastriques ou sympathiques, déclenchés notamment par la distension (Fig. 1). Le centre du vomissement reçoit aussi des informations sensitives d’origine extra-digestive, provenant du péritoine, des vaisseaux coronaires, des voies urinaires ou des testicules. En réponse à ces stimulations, le centre du vomissement émet des messages efférents moteurs qui modifient la motricité duodéno-pylorique (hypertonicité duodénale, inversion du péristaltisme, fermeture pylorique) et fundique (relâchement avec ouverture cardiale), et provoquent une contraction diaphragmatique et musculaire abdominale. Un réflexe d’élévation vélopalatine prévient l’entrée du matériel expulsé dans le naso-pharynx alors qu’un second réflexe de fermeture glottique et d’inhibition respiratoire prévient l’inhalation du contenu de l’estomac expulsé lors du vomissement. Le déclenchement des vomissements implique la mise en jeu de récepteurs sérotoninergiques de type 3 qui stimulent la libération de dopamine qui active les récepteurs dopaminergiques D2 du centre du vomissement. Ce déclenchement implique aussi des récepteurs histaminiques H1 et muscariniques M1 qui sont particulièrement abondants dans le système vestibulaire. À l’inverse, la stimulation des récepteurs cannabinoïdes CB1 du système nerveux central inhibe l’activité du centre du vomissement.

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Figure 1

Attitude pratique

Tous les vomissements, qu’ils soient aigus ou chroniques, nécessitent un bilan étiologique car le meilleur traitement est celui de leur cause. Ces causes, digestives et non digestives, sont listées dans le Tableau I. Le bilan de vomissements chroniques n’est pas stéréotypé et dépend du contexte clinique. Les explorations, qu’elles soient endoscopiques et/ou radiologiques (tomodensitométrie, entéro-scanner, entéro-IRM), permettent la recherche d’une sténose digestive haute ou basse. Certaines causes métaboliques ou endocriniennes doivent être envisagées en l’absence d’autre orientation diagnostique (créatininémie, natrémie, glycémie, calcémie, TSH, cortisolémie). Les causes neurologiques et vestibulaires ne doivent pas être méconnues [1]. Toute hypertension intra-crânienne peut provoquer des vomissements. Dans cette situation, les vomissements sont typiquement faciles, en jet, soulageant les vomissements. Mais la séméiologie des vomissements peut être moins évocatrice alors que les céphalées et un déficit neurologique à l’examen clinique peuvent être absents, surtout en cas de lésion de la fosse postérieure. L’examen tomodensitométrique de crâne ou l’imagerie IRM fait le diagnostic lésionnel. L’imagerie du tronc cérébral est particulièrement importante pour détecter une cause neurologique à des vomissements en l’absence d’hypertension intra-crânienne [2]. Au cours des syndromes vestibulaires, les vomissements sont quasi constants. Ce diagnostic doit être évoqué devant des vertiges qui se caractérisent par une illusion de mouvement avec sensation subjective rotatoire, horaire ou anti-horaire. Le vertige doit être distingué des possibles manifestations lipothymiques contemporaines des vomissements. L’existence d’un nystagmus à l’examen renforce l’hypothèse de vomissement d’origine vestibulaire.

Tableau II. Principaux médicaments et toxiques pouvant provoquer des vomissements

Médicaments Toxiques
Antibiotiques (aminosides,érythromycine) Alcool
Antimitotiques Nicotine
Colchicine  
Digitaliques  
Opiacés  
Quinine  
Salicylés  
Théophyllline  

L’analyse des médicaments pris régulièrement par le patient est importante car beaucoup de médicaments peuvent être à l’origine de vomissements chroniques (Tableau II). Enfin, chez une femme en âge de procréer, un dosage des bêta-HCG est nécessaire.

Que faire en cas de bilan négatif ?

Dans certains cas, ce bilan étiologique demeure négatif et les vomissements demeurent inexpliqués. Il importe alors de répondre à plusieurs questions avant de discuter des causes rares ou considérer les vomissements idiopathiques.

Question 1 : le malade décrit-il réellement des vomissements ?

Cette question paraît élémentaire mais elle ne trouve pas toujours une réponse claire en pratique clinique dans la description que fait le patient de ses symptômes.

Les vomissements doivent être distingués :

  • des régurgitations qui sont la remontée passive du contenu gastrique ou œsophagien dans la bouche. L’absence d’effort, de nausées préalables et des signes d’activation -sympathique (tachycardie, sueurs froides, pâleur) ou parasympathique (hypersalivation) sont les éléments d’orientation. Dans le doute, une pH-impédancemétrie ou surtout une manométrie œsophagienne à la recherche principalement d’une achalasie (au cours de laquelle la dysphagie peut être au second plan dans le discours du malade) sont indiquées [3] ;
  • du mérycisme (ou rumination) qui correspond à la remontée volontaire dans la bouche d’aliments récemment ingérés qui sont ensuite de nouveau déglutis après mastication. Ce phénomène, dans les cas difficiles, peut être identifié par une pH-impédancemétrie détectant dans les 1 à 2 heures suivant un repas, des variations rapides du pH œsophagien induites par les régurgitations provoquées puis leur déglutition immédiate [4]. Ce mérycisme s’intègre parfois dans le cadre d’un trouble du comportement alimentaire (anorexie-boulimie) ;
  • de vomissements provoqués dans le cadre d’un trouble du comportement alimentaire atypique [5]. Il s’agit probablement de la situation la plus difficile en pratique, en l’absence de troubles psychologiques patents. À côté des interviews semi-structurés [6], certains questionnaires tels que le SCOFF [7] auraient une valeur d’orientation pour la détection d’un tel trouble du comportement alimentaire atypique. Ils ont été surtout validés pour le screening de troubles du comportement alimentaire. Leur valeur diagnostique à l’échelon individuel est moins établie.

Question 2 : les vomissements traduisent-ils un trouble moteur sous-jacent ?

Existe-t-il une gastroparésie ?

La difficulté diagnostique est plus importante quand les autres symptômes évocateurs d’une vidange gastrique ralentie (inconfort épigastrique, plénitude épigastrique post-prandiale avec sensation de digestion prolongée, satiété précoce) manquent, notamment chez les sujets diabétiques [8]. De plus, la corrélation est médiocre entre le type et l’intensité des symptômes et l’existence ou non d’une gastroparésie. Chez les malades répondant aux critères de Rome II de dyspepsie fonctionnelle, des vomissements alimentaires post-prandiaux associés à une plénitude post-prandiale prolongée ont la meilleure valeur d’orientation pour l’existence d’une authentique gastroparésie, surtout si le malade est une femme [8].

Le recours à une mesure objective de la vidange gastrique est donc le seul moyen de porter avec certitude le diagnostic de gastroparésie. Cependant, comme les tests d’exploration de la vidange gastrique ne sont disponibles que dans des centres spécialisés, ils ne trouvent actuellement leur indication que dans le cadre de symptômes gênants et réfractaires à une première ligne de traitement. La méthode de référence pour l’étude de la vidange gastrique demeure la scintigraphie [10]. Le test mesure, à l’aide d’une gamma-caméra, la décroissance de la radio-activité dans l’estomac après ingestion d’un repas isotopique. Le technétium99 marque la phase solide du repas, l’Indium111 la phase liquide. La durée de l’acquisition des images scintigraphiques doit être supérieure au temps de demi-vidange. Comme ce temps est très variable d’un patient à un autre, la durée de l’exploration est raisonnablement fixée à 2 heures et ne dépasse pas 3 heures, afin de garantir une qualité maximale de la mesure et de rendre l’examen acceptable pour le patient. La mesure détermine avant tout le temps de demi-vidange (T50 ou T1/2) qui correspond au temps écoulé entre la fin de la prise alimentaire et l’heure d’évacuation de la moitié du repas marqué. Certaines équipes -calculent la vidange gastrique à 120 minutes (VG120) qui est la proportion du repas marqué restant dans l’estomac 2 heures après son ingestion. La scintigraphie est le seul test permettant l’analyse simultanée de la vidange des liquides et des solides. Les problèmes techniques posés par cette technique sont le volume du repas que le malade doit ingérer, la répétition des mesures toutes les 15 à 20 minutes qui impose des déplacements multiples et rapides devant la gamma caméra (parfois difficiles à réaliser chez des sujets âgés à mobilité réduite) et surtout la disponibilité limitée de ces gamma caméras qui sont généralement très occupées par d’autres scintigraphies, osseuses, thyroïdiennes ou myocardiques. L’alternative est le test respiratoire à l’acide octanoïque marqué par un isotope stable, non radio-actif, du carbone, le 13C [11]. Ce test validé -permet de mesurer, avec une précision comparable à la scintigraphie, la vidange gastrique des solides. Son principe implique une fixation stable de l’acide octanoïque au jaune d’œuf du repas test pour marquer la phase solide du repas. La dissociation de l’acide octanoïque du jaune d’œuf lors du passage dans le duodénum sous l’action de la lipase pancréatique conduit à une absorption duodénale puis une oxydation hépatique de l’acide octanoïque marqué qui conduit à une libération de 13CO2 qui se retrouve dans l’air expiré. Le résultat du test exprime la cinétique d’élimination du 13CO2 dans les gaz expirés par voie -respiratoire sur une période habituelle de 4 heures après la prise du repas test.

Existe-t-il un trouble moteur grêlique s’intégrant dans une forme fruste de pseudo-obstruction ?

Devant des vomissements récurrents sans obstacle mécanique, l’hypothèse d’un trouble moteur grêlique, notamment dans le cadre d’une pseudo-obstruction chronique intestinale, peut se discuter [12]. Cependant, dans un tel contexte, les vomissements sont rarement isolés. Il existe souvent un ballonnement abdominal objectif, avec distension gazeuse des anses grêles dans leur ensemble et un ralentissement du transit. La manométrie antro-duodénale ou antro-duodéno-jéjunale est l’examen clé pour porter le diagnostic car elle est toujours anormale en cas de POIC, avec la réserve de disposer d’un examen d’une durée suffisamment longue pour éviter un diagnostic de POIC par excès. Ce risque existe notamment en cas d’absence de phase III du complexe moteur migrant pendant la période diurne après un enregistrement diurne trop court. En effet, cette absence a été observée chez des volontaires sains. En revanche, une manométrie antro-duodéno-jéjunale normale conduit à infirmer un diagnostic de POIC évoqué cliniquement [12].

La manométrie duodéno-jéjunale peut avoir un autre intérêt : faire rediscuter l’existence d’un obstacle mécanique sur le grêle, méconnu par le bilan radiologique lorsqu’elle révèle un « rythme minute » (courtes salves de contractions survenant toutes les minutes), des contractions géantes propagées (contractions de grande amplitude (> 30 mmHg, durant 15 à 20 secondes) et propagées sur la quasi-totalité du grêle), des contractions uniques ou en courtes bouffées, de grande amplitude ou de durée supérieur à 8 sec et survenant simultanément sur toutes les voies d’enregistrement sans artéfact de mouvement [12]. Cet apport diagnostique de la manométrie a surtout été observé après les transits barytés du grêle. Avec les techniques modernes telles que l’entéro-scanner, le risque de méconnaissance d’un obstacle mécanique est moindre.

Question 3 : existe-t-il une hypersensibilité duodénale ?

Le rôle de l’hypersensibilité digestive dans des vomissements inexpliqués demeure mal établi. Cependant, à côté d’une hypersensibilité mécanique de l’estomac proximal, certains malades souffrent d’une hypersensibilité duodénale à des stimuli chimiques tels que les lipides et l’acide chlorhydrique qui peuvent déclencher des nausées importantes et des vomissements [13]. Cette hypersensibilité n’est pas possible à démontrer en dehors de protocoles de recherche. L’administration de fortes doses d’inhibiteurs de la pompe à protons peut être essayée dans un but diagnostique.

Quand cette démarche diagnostique ne retrouve aucune explication aux vomissements ou que des éléments anamnestiques sont évocateurs, on peut envisager des situations rares

Le syndrome des vomissements cycliques idiopathiques

Il s’agit d’une entité clinique identifiée d’abord chez l’enfant [14], qui existe aussi chez l’adulte. Ce syndrome peut s’observer à n’importe quel âge mais il affecte surtout des sujets de la tranche d’âge 30-35 ans, surtout ceux de peau blanche. Sa prévalence est mal connue, oscillant entre 0,04 % et 1,9 % selon les études [15].

Les malades qui en sont atteints se plaignent d’épisodes aigus de nausées et de vomissements qui surviennent soit brutalement, sans phase prodromique, soit après une période marquée par des nausées, une anorexie et une léthargie inhabituelle. Lorsque les vomissements se déclenchent, on en dénombre entre 10 et 12 par jour. Une douleur abdominale contemporaine des vomissements existe dans 58 % des cas. Les périodes de vomissements sont stéréotypées. Les symptômes disparaissent ensuite totalement avant de récidiver après quelques semaines ou quelques mois. Habituellement, on recense 4 à 12 périodes symptomatiques par an, d’une durée moyenne de 6 jours (extrêmes : 1 à 21) [5]. Les crises peuvent être déclenchées par une infection, un stress psychologique, une perturbation du sommeil, certains aliments (chocolat, fromage, glutamate). Chez les femmes atteintes, les périodes menstruelles semblent favoriser les crises de vomissements.

Certains antécédents sont fréquemment retrouvés chez les adultes souffrant d’un syndrome des vomissements cycliques idiopathiques. Ainsi plus d’un adulte sur 4 a une histoire personnelle ou familiale de migraine. L’anxiété est aussi une des caractéristiques assez habituelle de ces malades. Elle s’observe chez environ 20 % d’entre eux [5]. Son interprétation n’en est pas simple : est-elle liée au retentissement social de la symptomatologie ? Traduit-elle un phénomène d’anticipation secondaire à la crainte de vivre une nouvelle période de vomissements ? Le terrain anxieux résulte-t-il de traumatismes psychologiques pendant l’enfance et précédant l’installation de ces vomissements cycliques ?

Le traitement de ces vomissements cycliques n’est pas codifié après échec des traitements de première intention (domperidone, metoclopramide). Une série récente a suggéré l’utilité d’une association amitryptiline-coenzyme Q10 (Decorenone ®) et L-carnitine [16]. L’utilisation de Coenzyme Q10 nécessite une demande d’ATU.

Les vomissements secondaires à une prise chronique de cannabis (« cannabinoid hyperemesis -syndrome ») [17]

Ce syndrome a été décrit en 2004. Il doit être connu compte tenu de la consommation croissante de cannabis. Il se caractérise par des épisodes récurrents de nausées et de vomissements chez des consommateurs chroniques de cannabis. Il s’explique par un effet paradoxal des produits du cannabis (notamment le delta 9-tétrahydrocannabinol ou delta 9-THC) sur le système nerveux entérique et les cellules immunitaires intestinales (récepteurs CB2). Un stockage du delta 9-THC dans le tissu adipeux prolongerait la demi-vie de ce produit et son accumulation avant qu’une lipolyse provoquée par le stress ou un apport alimentaire insuffisant amène son relargage dans la circulation. Un polymorphisme génétique du cytochrome P450 hépatique amènerait alors une accumulation de molécules émétisantes, issues du métabolisme du delta 9-THC.

Ce syndrome s’observe tout particulièrement, au moins aux États-Unis, chez les sujets masculins, de peau blanche, issus de milieux défavorisés et en proie à des difficultés familiales majeures (séparation, divorce, veuvage).

Après une phase prodromique marquée par des nausées et un inconfort abdominal, les vomissements se déclenchent avec une fréquence qui interdit toute activité. Les douleurs abdominales persistent mais sont au second plan. Une déshydratation est habituelle ainsi qu’une perte de poids qui peut atteindre 5 kilos. Lorsque des explorations endoscopiques sont effectuées pendant cette phase aiguë, elles conduisent assez souvent à découvrir un syndrome de Mallory-Weiss et/ou des lésions d’œsophagite. Cette phase de vomissements profus dure en général 24 à 48 heures avant une phase de récupération au cours de laquelle le sujet atteint redevient rapidement asymptomatique. L’histoire naturelle de ce syndrome est mal connue.

Un élément anamnestique très important est le bénéfice symptomatique que retirent les sujets de douches chaudes répétées. Le mécanisme de cet effet bénéfique est mal compris. Une explication est la correction grâce à ces douches chaudes de la mauvaise thermo-régulation hypothalamique provoquée par le cannabis.

Le traitement de la phase aiguë repose sur les antagonistes des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine, les antagonistes D2 et H1. Une prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons paraît légitime pour limiter les conséquences muqueuses œsophagiennes des vomissements. Mais le traitement le plus efficace demeure la prise régulière de douches très chaudes. Un essai récent a évoqué l’utilité de l’halopéridol dans cette indication [18]. Le traitement de fond repose bien entendu sur l’arrêt de la consommation de cannabis.

Les vomissements psychogènes sont-ils une réalité ?

La réalité des vomissements psychogènes est remise en cause lorsque le malade n’a pas de trouble psychiatrique manifeste. En effet, plusieurs études ont révélé que ces malades n’avaient pas plus de perturbations psychologiques qu’une population contrôle [19]. Le groupe d’experts ayant rédigé la version III des critères de Rome a ainsi défini une nouvelle entité, celle des vomissements fonctionnels, dont les critères de définition sont rappelés dans le Tableau III [5]. La physiopathologie de tels vomissements n’est pas comprise, leur traitement est purement symptomatique.

Tableau III. Critères de définition des vomissements fonctionnels selon Rome III

Le malade doit répondre à tous les critères suivants au cours des 3 mois précédant la
consultation :
•  Au moins un épisode de vomissement hebdomadaire
•  Absence d’argument pour un trouble du comportement alimentaire
•  Absence de maladie psychiatrique caractérisée
•  Absence d’argument pour des vomissements provoqués
•  Pas de consommation chronique de cannabis
•   Bilan étiologique négatif éliminant notamment une atteinte du système nerveux central
ou une maladie métabolique
•  Durée globale d’évolution de la symptomatologie supérieure à 6 mois

Traitement symptomatique des vomissements inexpliqués

Il repose sur les différentes classes thérapeutiques rappelées dans le Tableau IV. En cas de gastroparésie, les prokinétiques, y compris l’érythromycine ou l’azithromycine, peuvent être employés [20]. Dans les cas réfractaires, surtout lorsque les vomissements ont un impact nutritionnel, la stimulation électrique de l’estomac peut être indiquée. Elle consiste à stimuler l’estomac par un courant à haute fréquence (5 mA, 14 Hz) délivré par 2 électrodes suturées sur l’antre. Le boitier de stimulation est implanté dans l’épaisseur de la paroi abdominale. Le traitement réduit significativement la fréquence des vomissements dans la plupart des séries publiées qui ont été majoritairement, jusqu’alors, des essais ouverts [21]. Le mécanisme de l’effet thérapeutique paraît autant un effet sensitif qu’un effet moteur. La mise au point de nouvelles électrodes mises en place par voie percutanée devrait permettre, dans un avenir proche, une stimulation électrique temporaire sélectionnant les candidats à une implantation définitive.

Tableau IV. Mode d’action des anti-émétiques

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Références

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Les Cinq points forts

  1. Des  vomissements  sont  considérés  inexpliqués  après  une  enquête étiologique exhaustive éliminant une cause non seulement digestive mais aussi une origine non digestive, particulièrement neurologique, vestibulaire ou médicamenteuse.
  2. Des vomissements mal expliqués doivent conduire à des explorations fonctionnelles cherchant une gastroparésie ou une pseudo-obstruction intestinale.
  3. Le syndrome des vomissements cycliques caractérise des vomissements survenant par crises tous les 1 à 2 mois, durant environ une semaine chez des sujets ayant une histoire personnelle ou familiale de migraine.
  4. Des  vomissements  répétés  peuvent  être  l’effet  paradoxal  d’une  prise chronique de cannabis.
  5. La réalité des vomissements psychogènes est très discutée.