Syndrome de l’intestin irritable : de la physiopathologie au traitement

I. INTRODUCTION

Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est le trouble fonctionnel intestinal le plus fréquent. Sa prévalence moyenne est de 10 % dans la population générale. Il se caractérise par une douleur abdominale chronique, associée à des troubles du transit (constipation, diarrhée ou alternance des deux) se majorant lors des poussées douloureuses.

Considéré initialement comme un trouble purement moteur, le SII est devenu une affection multi-factorielle. L’accent est actuellement mis sur les troubles de la sensibilité viscérale et le dysfonctionnement des relations bi-directionnelles qui existent entre le tube digestif et le cerveau. Le rôle d’anomalies du microbiote intestinal est aussi de plus en plus probable.

La meilleure connaissance de la physiopathologie est importante pour la prise en charge. Elle permet d’abord de donner aux malades des explications sur l’origine de leurs symptômes lorsque la normalité des explorations morphologiques ne les rassurent pas. Parallèlement, les pistes thérapeutiques se diversifient.

II. LES DIFFERENTES PISTES PHYSIOPATHOLOGIQUES

1) LES TROUBLES DE LA MOTRICITE : PREMIERES ANOMALIES IDENTIFIEES 1

Ils ont été décrits au niveau du côlon et de l’intestin grêle conduisant à renoncer à la terminologie « colopathie fonctionnelle », impropre, et à introduire  le terme « syndrome de l’intestin irritable » (SII).

Les anomalies motrices les mieux caractérisées ont été décrites au niveau de l’intestin grêle, surtout chez les malades diarrhéiques. Elles concernent les deux profils moteurs grêliques, inter-digestif et post-prandial. Chez les malades diarrhéiques, les phases III inter-digestives sont plus nombreuses et deux fois plus souvent propagées jusque dans l’iléon. Les autres phénomènes moteurs grêliques sont une hyperactivité motrice qui disparait habituellement la nuit pendant le sommeil, de courtes salves de contractions, rythmiques, survenant typiquement toutes les minutes (rythme minute) et des contractions iléales de grande amplitude propagées dans le caecum. Salves de contractions jéjunales et grandes contractions iléales sont contemporaines dans plus de la moitié des cas de crampes abdominales. Avec l’alimentation, le stress est un second facteur déclenchant les troubles moteurs grêliques.

Les perturbations motrices coliques sont moins nettes. Aucune anomalie de la motricité basale colique n’a été clairement identifiée. Les troubles moteurs coliques s’observent surtout après la prise d’un repas : par rapport à un groupe contrôle, certains patients atteints de SII, en particulier une nouvelle fois les malades diarrhéiques, ont une réponse motrice recto-sigmoïdienne à l’alimentation plus marquée et/ou anormalement prolongée. Inversement, les malades souffrant d’un SII avec constipation ont parfois une réponse colique à l’alimentation anormalement faible.

Les perturbations de la motricité affectent le transit des gaz digestifs, favorisant une rétention intestinale des gaz à l’origine d’une sensation d’inconfort avec parfois ballonnement objectif 2. Lors d’épreuves de perfusion gazeuse intestinale avec un mélange gazeux composé d’azote, de gaz carbonique et d’oxygène dans des proportions comparables à celles calculées dans le sang veineux, la majorité des malades SII a été incapable d’évacuer la totalité du gaz infusé et la rétention gazeuse reproduisait la sensation inconfortable de distension abdominale signalée spontanément. Pour un même volume de rétention gazeuse, la sensation de distension était beaucoup plus marquée chez les malades que chez les témoins. Cet inconfort était partiellement amélioré par l’administration de prokinétiques.

Les perturbations motrices digestives ne peuvent résumer la physiopathologie du SII car leur présence et leur co-incidence avec les symptômes, notamment les douleurs abdominales, sont inconstantes. De plus, si les médicaments destinés à corriger ces troubles moteurs améliorent les troubles du transit, ils ont habituellement une efficacité moindre sur les douleurs abdominales. Cependant, les anomalies motrices digestives ne peuvent être oubliées.

2. L’HYPERSENSIBILITE VISCERALE : UN ELEMENT CLE DANS LA SURVENUE DES SYMPTOMES 3

Globalement, au cours du SII, 50 à 60 % des malades souffriraient d’une hypersensibilité digestive. Cette hypersensibilité a été démontrée dès 1973 après la constatation qu’une distension rectale ou sigmoidienne par un ballonnet déclenchait une douleur chez  55 % des patients souffrant d’un SII alors que le même volume de distension n’était perçu douloureusement que par 6 % des sujets contrôles. . La topographie plus large et/ou inhabituelle de la zone douloureuse lors des distensions, par rapport à celle décrite par des témoins, a été un argument supplémentaire en faveur d’une trouble sensitif. Il s’agit d’une hypersensibilité vraie puisque l’abaissement du seuil douloureux s’observe en dehors de toute modification des propriétés mécaniques de la paroi digestive. Le trouble de la sensibilité concerne spécifiquement la sensibilité viscérale. En effet, il n’existe pas d’hypersensibilité somatique au cours du SII et les stimulations électriques intra-luminale ou transcutanées sont perçues de façon non différente entre SII et contrôles.

L’hypersensibilité s’observe surtout au cours du SII à forme diarrhéique au cours duquel plus de 80 % des malades seraient hypersensibles contre seulement 52 % des malades SII constipés. Chez certains malades souffrant d’un SII avec constipation, le seuil d’inconfort à la distension serait même plus élevé que dans une population témoin.

L’hypersensibilité n’est pas constamment limitée au seul intestin. Elle peut concerner la partie haute du tube digestif expliquant pourquoi le SII est souvent associé à une dyspepsie douloureuse ou un pyrosis fonctionnel. L’hypersensibilité peut être extradigestive, bronchique avec des manifestations asthmatiformes, vésicale où elle provoque une pollakiurie et des tableaux de cystite sans infection urinaire identifiable, musculaire et/ou articulaire comme chez les patients SII fibromyalgiques.

Hypersensibilité : pourquoi ?

Plusieurs mécanismes, éventuellement associés peuvent être envisagés à partir de l’anatomie des voies sensitives digestives. Des arguments existent pour un mécanisme périphérique, avec une sensibilisation des neurones afférents primaires de la paroi digestive et/ou la mise en jeu de récepteurs nociceptifs pariétaux normalement silencieux. Dans cette hypersensibilité périphérique, les neurones afférents primaires seraient anormalement stimulés par des médiateurs (sérotonine ou certaines cytokines) libérés notamment par les mastocytes situés au contact des terminaisons sensitives et qui semblent jouer un rôle clé. Par le biais de ces médiateurs, les mastocytes abaisseraient le seuil de sensibilité de ces neurones afférents. Dans certains cas, la sensibilisation neuronale périphérique parait liée à une inflammation de bas grade.

L’hypersensibilité peut être également centrale et découler d’une hyperexcitabilité neuronale dans la corne postérieure de la moelle 4 amplifiant les messages sensitifs d’origine digestive, et/ou d’une perturbation de l’intégration de ces messages sensitifs dans le cerveau. En cas de sensibilisation médullaire, des influx sensitifs d’intensité normale, non nociceptifs, sont amplifiés et perçus de façon consciente et pénible alors que dans les conditions normales, ces mêmes messages sont intégrés de façon inconsciente à un niveau sous cortical. L’imagerie cérébrale fonctionnelle a montré que l’hypersensibilité pourrait résulter d’un trouble de l’intégration cérébrale des influx sensitifs digestifs avec la mise en jeu inhabituelle de certaines régions cérébrales telles que la région cingulaire antérieure dans le cortex pré-frontal, et/ou une activation cérébrale d’emblée maximale, quelle que soit l’intensité du stimulus 5. De plus, les patients avec SII présentent un phénomène d’anticipation de la réponse douloureuse qui les conduit à rapporter une sensation douloureuse pour des stimuli de moindre intensité que les sujets normaux. Cette activation est tout particulièrement marquée chez les femmes. Ceci est un argument supplémentaire pour une prédisposition différente des 2 sexes à l’apparition d’un SII. Les données que nous possédons sur l’intégration centrale des stimuli d’origine digestive au cours du SII sont encore fragmentaires. Mais il est indiscutable que cette approche par imagerie fonctionnelle offre des possibilités nouvelles réelles pour progresser dans la compréhension de la physiopathologie du SII.

L’hypersensibilité peut enfin résulter du dysfonctionnement du système des contrôles inhibiteurs diffus (CIDN) qui modulent aussi la douleur en exerçant une activité analgésique 6. Dans les conditions normales, les stimulations nociceptives activent en cascade un système descendant mettant en jeu la substance grise péri aqueducale et péri-ventriculaire de l’hypothalamus, la région rostro-ventrale du bulbe et les cornes postérieures de la moelle pour finalement inhiber l’activité des neurones nociceptifs des cornes dorsales de la moelle. Ces CIDN produisent une inhibition descendante qui réduit l’activité des neurones nociceptifs non-spécifiques, faisant ainsi ressortir l’activité des neurones spécifiques sollicités par la stimulation nociceptive. Au cours du SII, le fonctionnement de ces CIDN parait perturbé, au moins chez certains malades.
Comme pour les troubles moteurs, il serait simpliste de n’envisager que les seuls troubles sensitifs pour interpréter la physiopathologie du SII, en oubliant les anomalies motrices. Des phases III jéjunales ou des salves de contractions iléales peuvent occasionner une douleur ou un inconfort, par le biais de l’hyperpression localisée qu’ils entraînent. Inversement, en raison des boucles sensitivo-motrices qui coordonnent le fonctionnement digestif, l’hyperexcitabilité des afférences sensitives peut déclencher des réactions motrices anormales, inhibitrices ou excitatrices. Une sensibilité excessive aux lipides a ainsi été récemment avancée pour expliquer la réponse motrice gastro-colique excessive dont souffrent certains patients avec SII. De même, l’accélération du transit chez certains malades diarrhéiques parait en rapport avec une hypersensibilité iléale aux acides biliaires.

Les nouvelles pistes pour expliquer l’hypersensibilité

     a) L’activation immunitaire 6,7

L’une des hypothèses actuellement  avancée pour expliquer l’hypersensibilité, est un afflux dans la muqueuse de cellules immuno-compétentes, mastocytes et lymphocytes notamment, ou une activation accrue de ces cellules. Elles sensibiliseraient les neurones afférents primaires via la libération de leurs médiateurs en réponse à des modifications du microbiote, à une surexpression des certains récepteurs comme les toll-like (TLRs) (TLR 2 et 4 notamment) reconnaissant les motifs bactériens ou à d’autres facteurs qui restent à identifier. Cette interaction entre terminaisons nerveuses et cellules imuno-compétentes serait facilitée par un nombre accru de terminaisons nerveuses sensibles à la substance P et à la sérotonine.
L’anomalie la plus constamment observée est une augmentation du nombre des mastocytes sur des prélèvements iléaux et coliques. Cette augmentation est comparable pour les différents sous-types de SII. Cette hyper-mastocytose n’est pas toujours détectée, en particulier lorsque les biopsies sont rectales. Les biopsies plus profondes révèlent que la densité et surtout le degré de dégranulation des mastocytes sont beaucoup plus élevés près des plexus et au niveau des terminaisons nerveuses et qu’il existe une étroite corrélation entre le nombre de mastocytes, leur degré de dégranulation et la sévérité des symptômes. Cet infiltrat mastocytaire s’associe à des taux élevés de tryptase dans la muqueuse.
Les données concernant les lymphocytes sont moins nettes. Chez plus de 50 % des malades SII, un infiltrat cellulaire T ou une densité accrue de lymphocytes intra-épithéliaux ont été rapportés, à des taux insuffisant pour parler de lymphocytose épithéliale (> 30 lymphocytes/100 entérocytes). Certains types lymphocytaires pourraient être sureprésentés et un travail a rapporté une augmentation des lymphocytes exprimant le CD25, apportant des arguments pour une activation de ces populations lymphocytaires. Pour les lymphocytes B, les données sont concordantes pour conclure à l’absence d’infiltrat lymphocytaire B au cours du SII.
Si la démonstration d’un niveau accru d’expression des cytokines pro-inflammatoires dans la muqueuse n’est pas établi, les travaux sont plus concordants pour conclure à une expression réduite des cytokines anti-inflammatoires, IL-10 et TGFb au cours du SII. Des altérations génomiques pourraient favoriser le développement d’un SII  puisque certains patients SII sécrètent peu d’IL10 et de TGF-ß.
La libération de sérotonine par les cellules entéro-endocrines sous l’effet de stimuli notamment alimentaires joue un rôle important dans la physiopathologie du SII 8. La densité de ces cellules entéro-chromaffines est normale dans le grêle. Par contre, plusieurs travaux ont décrit leur densité accrue dans les muqueuses colique et rectale, notamment après une gastroentérite aigue chez les malades qui développent un SII post-infectieux (SII-PI). Cette densité cellulaire plus élevée s’observe surtout chez des patients  déprimés.
Des perturbations sanguines, plus discrètes, en faveur d’une activation immunitaire ont été également décrites. Si les concentrations basales de cytokines sont normales en basal,  les cellules mononuclées sanguines sécrètent, en revanche, en excès des cytokines pro-inflammatoires en réponse à certaines stimulations antigéniques. C’est le cas notamment pour le TNFa, l’IL-6 et l’IL-1b après un contact avec des lipopolysaccharides produites par E.Coli. Chez les malades diarrhéiques, un excès de médiateurs libérés par les mastocytes (PGE2, leucotriène B4) a été rapporté. Enfin, si le nombre des lymphocytes CD4+, CD25+ et CD8+ est normal, ces lymphocytes T expriment souvent  l’intégrine B7+, qui favorisent leur afflux vers l’intestin.

L’augmentation de la perméabilité intestinale 9

Une perméabilité para-cellulaire colique accrue est un élément favorisant la pénétration d’antigènes alimentaires et bactériens qui déclencher une réponse inflammatoire locale avec afflux de cellules immuno-compétentes et libération de médiateurs de l’inflammation, capables à leur tour de sensibiliser les neurones afférents primaires.
Plusieurs travaux  ont montré sur des biopsies muqueuses grêliques ou coliques humaines une augmentation de la perméabilité intestinale avec une corrélation entre cette augmentation de la perméabilité et  l’existence d’une hypersensibilité. L’augmentation de la perméabilité para-cellulaire peut être liée au rôle de certaines protéases bactériennes qui activent un sous-type de récepteurs aux protéases (PAR-2) situés sur le pôle apical des colonocytes. L’altération des jonctions serrées peut être secondaire également à une dégradation accrue de la zonuline, l’occludine ou la claudine par le protéasome. Le stress joue également un rôle via l’un de ses médiateurs, le CRF (cortico-releasing-factor). Appliqué sur la face séreuse des cellules coliques obtenues par biopsies, le stress augmente la perméabilité para-cellulaire épithéliale par un effet impliquant probablement les mastocytes.  Un régime riche en lipides pourrait être également un facteur de perméabilité accrue.

3. LES AUTRES PISTES PHYSIOPATHOLOGIQUES NOUVELLES

A) LE ROLE DE PERTURBATIONS DU MICROBIOTE 10

Des données de plus en plus nombreuses renforcent cette hypothèse physiopathologique. Les arguments pour envisager l’implication du microbiote sont les suivants : a)  les bactéries intestinales influencent la physiologie digestive, b) chez certains patients,  l’histoire du SII est celle d’un SII post-infectieux, c) des différences qualitatives et quantitatives dans la composition de la flore colique et grêlique ont été observées entre patients SII et sujets contrôles. Elles s’associent parfois à une activité métabolique différente de la flore.

La flore intestinale agit  sur la sensibilité et la motricité digestive
Chez les animaux génétiquement dépourvus de flore, une gastroparésie, un transit dans le grêle significativement ralenti, une importante dilatation caecale sont des constatations habituelles alors que la reconstitution d’une flore s’associe à la réapparition d’une motricité grêlique normalement organisée. Les produits de l’activité bactérienne de fermentation colique, gaz (H2 et/ou CH4) et acides gras à chaînes courtes, modulent aussi la motricité digestive, notamment au niveau de la région iléo-colique, affectent le fonctionnement des cellules épithéliales et immunitaires intestinales, et provoque parfois une hypersensibilité.

Le SII peut apparaitre après une infection intestinale initiale
L’existence de SII post-infectieux (SII-PI) est désormais admise. Les SII-PI représenteraient 15 à 20 % des SII et peuvent succéder à une infection bactérienne (salmonellose, shigellose, gastroentérite à campylobacter) ou parasitaire (giardiase). Le risque relatif de développer un SII est multiplié par 5 après une infection intestinale.  Plusieurs facteurs influencent ce risque. Le plus important d’entre eux est la durée de l’infection initiale avec une corrélation entre la durée de l’infection initiale et l’importance du risque : la probabilité de voir apparaitre  un SII au décours d’une diarrhée aiguë est multipliée par 11 lorsque l’infection initiale dure plus de 3 semaines alors qu’elle est non différente de celle d’une population contrôle pour une infection brève (moins de 7 jours). Les autres facteurs de risque de SII-PI sont liés au terrain : un âge jeune lors l’infection, un terrain anxieux et/ou dépressif sous-jacent. Le SII-PI résulterait avant tout de la persistance d’un état « inflammatoire » local après l’infection aigue. L’analyse de biopsies muqueuses a montré que les patients qui développaient un SII-PI étaient ceux qui conservaient un taux élevé d’interleukine 1b, cytokine pro-inflammatoire, 3 mois après l’infection. La co-existence d’un infiltrat cellulaire inflammatoire avec cette production accrue d’interleukine 1b n’est pas constamment rapportée. Elle a été observée au niveau du rectum.

Au cours du SII, l’écosystème intestinal peut être quantitativement et/ou qualitativement différent de celui de sujets témoins

Des modifications quantitatives ? 11
L’hypothèse d’une pullulation bactérienne dans le grêle est avancée, sur la base des résultats anormaux de tests respiratoires démontrant une production importante et précoce d’hydrogène après charge en lactulose ou en glucose. Cette production accrue d’hydrogène et de méthane s’explique par l’extension de la zone de fermentation des résidus glucidiques au délà du côlon, dans l’iléon et même le jéjunum distal. Cette pullulation favorise l’apparition d’une inflammation intestinale et déclenche des troubles moteurs grêliques. Le gaz majoritairement produit influencerait le profil symptomatique des malades avec une production accrue de méthane particulièrement fréquente chez les patients décrivant un SII avec constipation chez qui une corrélation positive entre la quantité de méthane produite et la sévérité du ralentissement du transit a été rapportée. Cette hypothèse d’une colonisation bactérienne s’est trouvée renforcée par la démonstration d’une amélioration symptomatique significative après un traitement de dix jours par un antibiotique, essentiellement la néomycine ou la rifaximine. La réduction de l’inconfort abdominal et des troubles du transit concernait surtout les malades très méthano-producteurs avant le traitement antibiotique.
Cette théorie d’une pullulation bactérienne endo-luminale demeure très discutée car d’autres travaux ont rapporté une prévalence soit non différente de celle calculée dans une population témoin composée de sujets asymptomatiques et voisine de 4%, La discussion porte essentiellement sur la sensibilité, la spécificité et les valeurs prédictives négative et positive d’un test respiratoire à l’hydrogène basé sur l’ingestion de glucose ou de lactulose pour affirmer l’existence d’une pullulation bactérienne dans le grêle. La discussion porte notamment sur le critère qui doit être retenu pour conclure que le test est anormal. Le débat n’est pas clos mais une méta-analyse récente, prenant en compte l’hétérogénéité des études publiées aboutit cependant à la conclusion que la probabilité de pullulation bactérienne endo-luminale au cours du SII est environ trois fois supérieure à celle d’une population contrôle. Il paraît raisonnable de conclure qu’une pullulation microbienne endo-luminale est probable chez certains malades, notamment chez ceux souffrant de troubles de la motricité du grêle et qu’elle peut contribuer au ballonnement abdominal dont se plaignent les patients SII.

Les anomalies qualitatives du microbiote 10
En l’absence de toute colonisation bactérienne chronique du grêle, des données font état, au cours du SII, de modifications de la composition de la flore endoluminale mais aussi de celle présente dans le biofilm au contact de la muqueuse. L’abandon des techniques de mise en culture des selles (non satisfaisantes car 80% des espèces bactériennes ne sont pas cultivables) pour des techniques de séquençage des génomes bactériens et notamment la détection de la fraction 16S ribosomale, permettent dorénavant d’obtenir des données beaucoup plus fiables sur la composition du microbiote au cours du SII.
Un excès de firmicutes (Faecalibacterium, Acetititomaculm…)  est l’anomalie la plus constamment rapportée, soit comme unique différence, soit en association avec une réduction des bactéroidétes (Bacteroides, Alistipes). Une augmentation du rapport Firmicutes/ Bactéroidetes a été notamment décrit chez les malades souffrant d’un SII avec constipation, en association avec un état dépressif. L’étude de la flore au contact de la muqueuse, menée avant tout chez les malades souffrant d’un SII diarrhéique, a révélé une augmentation des bactéroides et des clostridia, associée à une réduction des bifidobactéries.

Ces anomalies du microbiote pourrait être une explication à la fermentation colique excessive qui existe au cours du SII 12
L’un des rôles de la flore colique est la transformation des résidus glucidiques. Cette fermentation aboutit à la production de gaz, principalement hydrogène et méthane. Lors d’une diète standard, la production d’hydrogène était deux fois plus élevée au cours du SII que dans une population contrôle avec une vitesse de production de ce gaz beaucoup plus rapide après un repas. Avec un régime excluant les céréales autres que le riz ainsi que les produits laitiers, la production d’hydrogène était significativement réduite chez les mêmes sujets SII mais pas chez les contrôles. Cette réduction de la production entrainait une amélioration des symptômes déclenchés habituellement par la prise alimentaire. Cette activité métabolique (métabolomique) différente du microbiote au cours du SII est une explication à la fréquente mauvaise tolérance à une diète enrichie en fibres, notamment insolubles. Un travail vient de confirmer cette hypothèse en démontrant chez des malades SII constipés, par rapport à une population témoin, une production accrue en hydrogène et en sulfides et moindre en acides gras après consommation d’amidon, en rapport avec une réduction de certaines espèces bactériennes produisant du butyrate 13. Cette métabolomique est également une explication possible à la mauvaise tolérance à certains oligo-, di- ou monosaccharides fermentables (« FODMAPS ») comme le fructose, l’inuline, et peut-être le lactose 14.

Les arguments qui existent pour un rôle de la flore sont encore actuellement essentiellement indirects. La confirmation du rôle délétère du microbiote ne pourra être apportée que par des études interventionnelles bien menées avec des probiotiques et/ou des prébotiques, ou des antibiotiques, démontrant que modifier la flore améliore les symptômes.

B. UN EXCES D’ACIDES BILIAIRES ENDO-LUMINAUX 6

Cette piste physiopathologique est d’exploration très récente. Une malabsorption des acides biliaires expliquerait l’accélération du transit chez au moins 30 % des patients souffrant d’un SII diarrhéique. L’excès d’acides biliaires endo-luminaux parait également la conséquence possible d’un excès de synthèse hépatique amenant le dépassement des capacités d’absorption iléales. Une explication à cet excès de synthèse serait un déficit de sécrétion iléale de FGF19 qui exerce un rétro-contrôle négatif sur la synthèse d’acides biliaires par les hépatocytes.

Les anomalies du microbiote pourraient également intervenir en limitant la transformation des acides biliaires primaires (acides cholique et chenodeoxycholique) en acides biliaires secondaires.

4. LE ROLE DES FACTEURS PSYCHOLOGIQUES ET DU STRESS NE DOIT PAS ETRE OUBLIE 15

Les aspects psychologiques du SII ne peuvent être oubliés même si la prévalence des troubles psychiatriques au cours du SII reste débattue. Concernant les troubles thymiques, il est parfois difficile de trancher entre leur caractère primitif ou secondaire lié au retentissement de la chronicité de la symptomatologie sur la qualité de vie quotidienne.
Le terrain psychologique et les troubles de l’humeur conditionnent d’abord un recours accru aux soins. Ils interfèrent avec la perception et l’intégration des informations sensitives d’origine digestive, en entretenant notamment un état d’hyper-vigilance à ces stimuli. Par rapport à une population contrôle, existe au cours du SII un phénomène d’anticipation de la réponse douloureuse qui conduit les malades à rapporter une sensation douloureuse pour des stimuli de moindre intensité.
Les communications bidirectionnelles entre le tube digestif et le système nerveux central impliquent les voies du système nerveux autonome. Or, les médiateurs de ce système autonome, notamment les catécholamines libérées par l’activation du système sympathique, modulent le fonctionnement gastro-intestinal, affectent la sensibilité viscérale mais aussi l’immunité intestinale. Des altérations du fonctionnement de ce système nerveux autonome ont déjà été rapportées au cours du SII. Les troubles psychologiques ou les troubles de l’humeur, fréquents au cours du SII,  peuvent être responsables de perturbations de l’activité de ce système nerveux autonome.

III. DE LA PHYSIOPATHOLOGIE A LA PRISE EN CHARGE 16-21

La multiplication des pistes physiopathologiques rend logique de traiter les malades souffrant d’un SII avec d’autres alternatives que les seuls anti-spasmodiques quand ceux-ci, toujours prescrits en première intention, sont inefficaces.
Le tableau ci-dessous résume les options thérapeutiques possibles avec leur niveau de preuve actuel 16
Les données actuelles suggèrent que les probiotiques peuvent être une option thérapeutique. Il reste à répondre à plusieurs questions : quelles sont les souches utiles ? souche unique ou association ? quelle dose et quelle durée ? cette option est-elle sans risque sur le long terme ?
La situation idéale serait de pouvoir disposer largement de tests simples et peu invasifs pour approcher la physiopathologie des symptômes chez un malade donné.  Cette situation n’existe pas actuellement. Le traitement dans les formes qui ne sont qu’imparfaitement améliorées par les anti-spasmodiques repose donc sur un essai empirique de différentes alternatives éventuellement combinées.

Tableau 1 : Options thérapeutiques possibles disponibles ou prochainement disponibles pour les différents mécanismes physiopathologiques identifiés au cours du SII

Piste physiopathologique

Options thérapeutiques Possibles

Niveau de preuve

Troubles
de la motricité

Antispasmodiques

 

SII avec constipation
Agonistes 5-HT4
Linaclotide
SII avec diarrhée
Antagonistes 5-HT3

A
(avec essais positifs récents avec la combinaison citrate d’alvérine /simeticone et le phloroglucinol)

  B *
A

   A**

Hypersensibilité
viscérale

Antidépresseurs à faible dose

Antiépileptique à faible dose

Prégabaline

A

C

B

Activation
immunitaire

Stabilisateur des mastocytes (ketotifene, cromoglycate)
Prednisolone

B

C

Perméabilité
intestinale accrue

Probiotiques

C

Dysbiose

Probiotiques
Prébiotiques
Antibiotiques (Rifaximine)

B

B

Excès d’acides biliaires endo-luminaux

Colestyramine
Probiotiques

C
C

Troubles
psychologiques
et de l’humeur

Alternatives non médicamenteuses (hypnose, relaxation, sophrologie, psychothérapie…)

A/B

* Agonistes 5-HT4:  le tégaserod a été testé dans l’indication syndrome de l’intestin irritable avant que sa prescription soit interrompue pour des raisons de sécurité d’utilisation (troubles du rythme cardiaque).. Le prucalopride, agoniste très sélectif des récepteurs 5HT4 (pas d’effet cardiaque)  n’a pour l’instant pas d’indication pour soulager la douleur abdominale du syndrome de l’intestin irritable.

* *  l’option des antagonistes des récepteurs 5HT3 est pour l’instant mise de côté à cause de la survenue des   colites ischémiques observées avec l’alosétron

Références

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Les 5 points forts

  1. Le syndrome de l’intestin irritable est une maladie multifactorielle
  2. L’hypersensibilité viscérale, qu’elle soit d’origine périphérique (sensibilisation des neurones afférents primaires intestinaux) et/ou centrale (amplification médullaire des influx sensitifs d’origine digestive, perturbation de leur intégration cérébrale, altération des contrôles inhibiteurs diffus)  est un élément physiopathologique essentiel.
  3. Une perméabilité para-cellulaire accrue est un élément important dans la sensibilisation des terminaisons sensitives digestives.
  4. Le rôle délétère du microbiote est probable mais les arguments en faveur de cette hypothèse physiopathologique ne sont encore qu’indirects.
  5. Les troubles psychologiques, les perturbations de l’humeur, l’exposition à un stress chronique influencent l’intégration cérébrale des influx sensitifs, ont un impact au niveau digestif (perméabilité intestinale accrue, entretien d’une activation immunitaire et d’une éventuelle inflammation de bas grade) et conditionnent l’importance du recours aux soins.