Trithérapie : mode d’emploi

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les résultats, les indications et les effets secondaires des inhibiteurs de protéases
  • Connaître et intégrer le polymorphisme de l’IL28B dans la prédiction de la réponse au traitement antiviral et la stratégie thérapeutique

Deux inhibiteurs de protéases : le télaprévir et le bocéprévir ont été récemment commercialisés en association à l’interféron et la ribavirine (trithérapie) pour le traitement de l’hépatite chronique virale C de génotype 1. Ces deux nouvelles molécules sont spécifiques des souches virales de génotype 1. Les malades infectés par les autres génotypes : 2, 3, 4, 5 et 6 relèvent toujours d’une bithérapie : interféron pégylé + ribavirine. Un polymorphisme génétique situé sur le chromosome 19 et nommé génotype de l’IL28B a été récemment associé à la réponse au traitement de l’hépatite chronique [1]. Des recommandations sur la prise en charge des malades atteints d’hépatite chronique C de génotype 1, prenant en compte les facteurs de réponse au traitement, ont été émises puis actualisées en 2011 par l’Association Française pour l’Étude du Foie (AFEF) [2].

L’analyse des facteurs de réponse à la bithérapie standard a permis de définir un sous groupe de malades de génotype 1 pour lesquels une bithérapie pourrait être suffisante

Le premier facteur qui influence la réponse durable au traitement est le génotype viral [3,4,5]. Grâce à une bithérapie standard utilisant l’interféron pégylé alpha 2a ou 2b et la ribavirine, le taux de guérison des malades de génotype 1 est de 40 à 50 %, celui des malades de génotype 2 et 3 de 70 à 80 % [3,4,5]. Chez les malades de génotype 1, les facteurs prédictifs de bonne réponse sont bien identifiés. Il s’agit essentiellement de l’âge (moins de 40 ans), du niveau de charge virale (< 600 000 UI/ml), du degré de fibrose (F0, F1) et de l’absence d’insulino-résistance [6]. Un polymorphisme génétique situé sur le chromosome 19, en amont du gène codant l’IL28B, a été récemment associé à la guérison spontanée ou thérapeutique de l’hépatite C [1]. Chez les malades de génotype 1 et 4, le génotype de l’IL28B est apparu comme un facteur prédictif de réponse virologique soutenue (RVS) définie par un ARN du VHC indétectable 6 mois après la fin du traitement [7]. Dans l’étude IDEAL [6], compa­rant l’efficacité des deux types d’interféron pégylé, il est apparu comme le facteur initial prédictif le plus important de la réponse au traitement. Le poids statistique de ce paramètre était voisin de celui du génotype viral. Il a été associé au degré de fibrose pour définir le potentiel de réponse. Ainsi, chez les caucasiens homozygotes CC (qui représentent 30 % des malades), sans fibrose sévère (F0, F1, F2), le pourcentage de réponse soutenue était estimé à 86 %, contre 43 et 33 % chez les malades de génotype CT et TT [7]. Le pourcentage de guérison observé chez les malades CC sans fibrose sévère traités par bithérapie était voisin de celui qui est obtenu par une trithérapie. Ainsi, la détermination du génotype de l’IL28B et du degré de fibrose chez les malades de génotype 1 permet d’identifier un sous groupe de malades chez lesquels une bithérapie pourrait être suffisante [2].

Le facteur individuel le plus important de la réponse au traitement est représenté par l’importance et la rapidité de la décroissance virale [8,9]. La guérison dépend de l’obtention la plus rapide sous traitement d’une virémie indétectable [8]. L’obtention d’une virémie indétectable à la quatrième semaine définit la réponse virologique rapide (RVR). Chez les malades qui présentent une RVR, les chances de succès d’une bithérapie sont de l’ordre de 90 % quelque soit le génotype [8,9]. Ainsi chez les malades de génotype 1 traités par bithérapie, en présence d’une RVR, la poursuite d’une bithérapie pourrait être suffisante [2]. À l’inverse, en l’absence de RVR une bithérapie plus longue est nécessaire [8,9] et dans ce cas une trithé­rapie pourrait être envisagée [2]. Privilégier une bithérapie par rapport à une trithérapie chaque fois que cela est possible (malades CC sans fibrose sévère, présence d’une RVR sous bithérapie) permet de réduire le coût très important du traitement, et ­d’éviter des effets secondaires supplémentaires.

Efficacité des trithérapies chez les malades de génotype 1 naïfs

Deux études de phase 3 de grande envergure (ADVANCE et SPRINT 2) ont démontré l’efficacité d’une tri­thérapie associant une antiprotéase, l’interféron pégylé et la ribavrine, chez les malades de génotype 1 jamais traités. L’étude ADVANCE [10] a comparé l’efficacité d’une trithérapie utilisant le télaprévir à la bithérapie standard (interféron + ribavirine). L’interféron utilisé dans cette étude était l’interféron pégylé a2a. Mille quatre-vingt-huit malades ont été randomisés en 3 bras : bithérapie de 48 semaines, trithérapie avec le télaprévir pendant 12 semaines suivie de bithérapie pendant 36 semaines, trithérapie avec le télaprévir pendant 8 semaines suivie de bithérapie pendant 40 semaines [10]. En cas de virémie indétectable après 4 et 12 semaines de traitement, la durée du traitement était réduite à 24 semaines dans les bras trithérapie. Les pourcentages de réponse soutenue étaient significativement plus élevés dans les bras télaprévir 12 semaines (75 %) et 8 semaines (69 %) que dans le bras bithérapie (44 %) [10]. L’étude SPRINT-2 [11] a comparé l’efficacité d’une trithérapie utilisant le bocéprévir à la bithérapie standard. L’interféron utilisé dans cette étude était l’inter­féron pégylé a2b. Mille quatre-vingt-dix-sept malades ont été randomisés en 3 bras : bithérapie pendant 48 semaines, trithérapie avec le bocéprévir pendant 44 semaines après une phase initiale de bithérapie (PIB) de 4 semaines, trithérapie avec le bocéprévir de durée variable selon la réponse après une PIB [11]. Dans ce troisième bras, les malades qui avaient une virémie indétectable à tous les points entre 8 et 20 semaines recevaient 28 semaines de traitement. La réponse soutenue était plus fréquente dans les bras trithérapie fixe (66 %) et trithérapie guidée par la réponse (63 %) que dans celui de bithérapie (38 %) [11].

Ces deux études ont démontré la supériorité des trithérapies utilisant le télaprévir et le bocéprévir ou avec un gain thérapeutique de 25 à 30 % par rapport à la bithérapie [10,11]. Le score de guérison des malades naïfs de génotype 1 passait de 40 % en bithérapie à 65 et 75 % en trithérapie [10,11]. L’efficacité de traitements plus courts en fonction des cinétiques virales précoces a été évaluée à partir d’un nouveau concept de traitement défini par la réponse (RGT). La réponse virologique rapide et étendue (eRVR) a été définie par l’obtention d’une virémie indétectable dès la quatrième semaine et maintenue à la douzième semaine pour le télaprévir et à la vingtième pour le bocéprévir [10,11]. Chez les malades ayant une eRVR (63 % des malades avec le télaprévir et 44 % avec le bocéprévir), la probabilité de réponse soutenue était de l’ordre de 80 à 90 %. La possibilité de raccourcir la durée du traitement a été confirmée par l’étude ILLUMINATE utilisant le télaprévir chez 540 malades tous ­traités en trithérapie avec le télaprévir pendant 12 semaines suivie de 12 semaines de bithérapie [12]. Chez les malades ayant une eRVR (65 % des malades), la randomisation a été faite à la semaine 24 entre arrêt ou poursuite de la bithérapie pendant 24 semaines supplémentaires. La réponse soutenue n’était pas différente entre les bras 24 semaines (92 %) ou 48 semaines (88 %) de traitement [12]. Chez les malades ayant une eRVR, un traitement court de 24 semaines est suffisant [2,10,11,12]. La phase initiale de 4 semaines de bithérapie (<lead in> ou PIB) n’a été utilisée que chez les malades traités par bocéprévir. Elle a permis d’augmenter le taux de réponse soutenue obtenue par le bocéprévir et d’évaluer la sensibilité des malades à l’interféron. Dans l’étude SPRINT-2, la décroissance de la charge virale à la fin de la thérapie initiale est apparue comme un facteur indépendant de réponse soutenue. Les taux de réponse soutenue n’étaient que de 28 à 43 % chez les malades ayant une baisse de moins d’un log 10 (UI/ml), alors qu’ils étaient de l’ordre de 80 % chez ceux ayant une baisse de plus d’un log [11]. Au seuil de 1 log, la baisse de la virémie à la fin de la bithérapie initiale était fortement prédictive de la sélection de souches résistantes chez les malades non répondeurs à la trithé­rapie (68 vs 31 %) [11].

Les facteurs de réponse ont été ana­lysés. Dans l’étude ADVANCE, un âge inférieur à 40 ans, un sexe féminin, l’absence de fibrose sévère, un index de masse corporelle inférieur à 25 étaient associés à la réponse soutenue [10]. Le polymorphisme du gène IL28B a pu être déterminé chez environ la moitié des malades [13]. Les pourcentages de réponse soutenue étaient respectivement de 90 % chez les malades CC, 71 % chez les CT et 73 % chez les TT. Le gain thérapeutique obtenu par la trithérapie était de 50 % chez les malades CT et TT et de 26 % chez les malades CC [13]. Dans l’étude SPRINT-2, les facteurs prédictifs indépendants de réponse soutenue étaient l’origine ethnique, la charge virale, l’âge, l’absence de fibrose sévère, la prise de statine et l’IL28B [11]. Les pourcentages de réponse soutenue étaient de 80 % chez les malades CC, 71 % chez les CT et 59 % chez les TT. Le gain thérapeutique lié à la trithérapie était observé uniquement chez les malades CT (41 %) et TT (32 %) [14]. Ainsi, les facteurs prédictifs de réponse sont les mêmes en trithérapie qu’en bithérapie, mais leur poids est nettement plus faible.

La trithérapie utilisant le bocéprévir ou le télaprévir devient donc le traitement de référence des malades de génotype 1 naïfs non CC [2]. En présence de facteurs de bonne réponse (IL28B CC et fibrose (FO, F1, F2)), le bénéfice apporté par la trithérapie apparait comme faible (télaprévir) ou absent (bocéprévir) et une bithérapie est suffisante [2]. Dans le cas contraire (IL28B non CC, fibrose (F3, F4)), les chances de succès sont doublées par la trithérapie, qui devient préférable à une bithérapie [2].

L’indication du traitement des malades naïfs a été définie par l’AFEF [2]. Le traitement est indiqué chez les malades qui ont une fibrose avancée F3-F4 (hors cirrhose décompensée) ou une fibrose modérée F2. Chez les malades ayant une fibrose minime F0-F1, l’indication du traitement doit être envisagée au cas par cas, en prenant en compte les facteurs de progression de la maladie hépatique (âge, sexe, syndrome métabolique, activité histologique) ainsi que les symptômes et la motivation du patient [2].

Efficacité des trithérapies chez les malades de génotype 1 en situation d’échec thérapeutique

Deux études de phase 3 (REALIZE et RESPOND2) ont montré l’efficacité d’une trithérapie chez les malades de génotype 1 en situation d’échec ­thérapeutique. Dans l’étude REALIZE, 663 malades rechuteurs, répondeurs partiels ou répondeurs nuls à un traitement antérieur ont été randomisés en 3 bras : un bras traité par bithérapie pendant 48 semaines, un bras comprenant 12 semaines de trithérapie avec le télaprévir suivies de 36 semaines de bithérapie, et un bras comprenant 4 semaines de bithérapie, suivies de 12 semaines de trithérapie avec le télaprévir, puis de 32 semaines de bithérapie [15]. L’interféron utilisé dans l’étude REALIZE était l’interféron pégylé a2a. La durée totale du traitement était de 48 semaines dans tous les bras. Près de la moitié des malades avaient une fibrose sévère ou une cirrhose. La trithérapie utilisant le télaprévir était significativement plus efficace que la bithérapie avec des taux de réponse soutenue de 66 % avec la phase de bithérapie initiale, de 64 % sans PIB, par comparaison à 17 % dans le bras contrôle bithé­rapie [15].

Dans l’étude RESPOND-2, utilisant le bocéprévir chez 403 malades rechuteurs ou répondeurs partiels à un précédent traitement ont été randomisés dans 3 bras : un bras contrôle compre­nant 48 semaines de bithérapie, un bras comprenant une phase de bithérapie de 4 semaines suivie de 44 semaines de trithérapie utilisant le bocéprévir, et un bras guidé par la réponse (TGR) dont la durée était variable selon la réponse virologique précoce [16]. Dans ce troisième bras, le traitement était interrompu à S36 si une eRVR était obtenue. L’interféron utilisé dans cette étude était l’interféron pégylé a2b. La trithérapie utilisant le bocéprévir était significativement plus efficace que la bithérapie, avec des taux de réponse soutenue de 66 % dans le bras trithérapie et de 59 % dans le bras TGR par comparaison à 21 % chez les malades du groupe contrôle [16].

Dans ces deux études, le profil de réponse antérieure était le facteur prédictif le plus puissant de réponse au traitement. Dans l’étude REALIZE, les pourcentages de réponse soutenue en trithérapie étaient plus importants chez les rechuteurs (83 %) que chez les répondeurs partiels (54 %) et les répondeurs nuls (33 %) [15]. Dans l’étude RESPOND-2, qui n’a pas inclus de répondeurs nuls, les pourcentages de réponse soutenue en trithérapie étaient de 75 % chez les rechuteurs et de 52 % chez les répondeurs partiels [16]. Le score de fibrose était le deuxième facteur indépendant associé à la réponse soutenue, sauf chez les malades rechuteurs. Il faut ainsi noter que la population la plus difficile à traiter en trithérapie est celle des malades cirrhotiques répondeurs nuls, avec des taux de succès inférieurs à 15 % [15]. Enfin, le polymorphisme de l’IL28B n’avait dans les deux études aucun impact significatif sur la réponse soutenue [14,17]. Comme pour les malades naïfs de traitement, la phase de bithérapie initiale permet de prédire l’efficacité de la trithérapie. Par ailleurs, il est parfois difficile, compte tenu de l’ancienneté du traite­ment antérieur, de pouvoir déterminer avec certitude le profil de réponse. Dans toutes ces situations, la phase de bithérapie initiale permet de prédire l’efficacité de la trithérapie. Ceci est particulièrement important pour les malades répondeurs nuls chez qui la réponse soutenue obtenue avec le télaprévir est supérieure à 50 % si la chute de la charge virale est supérieure à 1 log, et seulement 15 % chez ceux ayant une diminution inférieure à 1 log à l’issue de la phase de bithé­rapie initiale [16].

La possibilité de réduire chez les malades en échec la durée de 48 semaines de trithérapie a été évaluée uniquement avec le bocéprévir dans l’essai RESPOND-2. En cas de fibrose sévère F3 ou de cirrhose F4, même s’il existe une eRVR, les chances de succès sont probablement plus faibles si la durée de traitement est réduite [2].

Ainsi, la trithérapie utilisant le bocéprévir ou le télaprévir devient le traitement de référence des malades de génotype 1 en échec de traitement par bithérapie [2]. Chez ces malades déjà traités, il n’est pas utile de déterminer le génotype de l’IL28B. L’indi­cation du traitement des malades en échec a été définie récemment [2]. Chez les malades rechuteurs ou ­répondeurs partiels à la bithérapie, la trithérapie est indiquée chez les malades ayant une fibrose F3, F4. Elle doit être ­discutée au cas par cas chez ceux ayant une fibrose minime à modérée F0-F2 [2]. Chez les répondeurs nuls ayant une fibrose sévère, une réponse soutenue ne peut être espérée que chez 15 % d’entre eux et la trithérapie reste indiquée en l’absence d’alternative. Pour les malades F0-F2, le rapport bénéfice-risque est le plus souvent défavorable [2].

Effets secondaires des trithérapies

La trithérapie utilisant le bocéprévir ou le télaprévir augmente le risque d’anémie d’environ 20 % par rapport à la bithérapie [10,11]. La fréquence de l’anémie, est d’environ 50 % avec le bocéprévir [11] et de 40 % avec le télaprévir [10]. Les analyses des études de trithérapie montrent que la diminution de dose de ribavirine ne semble pas avoir d’impact négatif sur la réponse soutenue [18]. Le traitement par le bocéprévir est responsable d’une dysgueusie dans 40 % des cas [11]. Le traitement par le télaprévir est associé dans la moitié des cas à des manifestations cutanées associées à un prurit [10,12,14]. Il s’agit le plus souvent d’une dermatite eczématiforme plus fréquente et plus intense que celle qui est induite par la ribavirine. Un prurit anal est présent dans 25 % des cas. Dans plus de 50 % des cas, l’atteinte cutanée survient au cours du premier mois de traitement. Dans plus de 90 % des cas, la surface corporelle atteinte n’excède pas 50 % et l’éruption est classée légère (grade 1) ou modérée (grade 2). Dans moins de 10 % des cas, les manifestations sont plus sévères (grade 3) faites de dermatite eczématiforme dont l’atteinte de la surface corporelle dépasse 50 % et/ou de la présence d’autres manifestations cutanées : vésicules, décollements cutanés, pustules, purpura, ulcérations, qui doivent faire suspecter un syndrome de Stevens Johnson (SJS) ou de DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms).

Interactions médicamenteuses

Le bocéprévir et surtout le télaprévir ont pour caractéristiques d’être métabolisés par les cytochromes P450 3A (CYP3As). Il en résulte des risques d’interactions avec d’autres médicaments métabolisés selon les mêmes voies selon 4 situations [2].

Les médicaments inducteurs des CYP3As entrainent une diminution de la concentration plasmatique de l’anti­protéase avec pour risque une perte d’efficacité et le développement de mutants résistants. Les principaux inducteurs incriminés sont la rifampicine, la rifabutine et le millepertuis qui sont contre-indiqués.

Les médicaments inhibiteurs des CYP3As entrainent une diminution du métabolisme de l’anti-protéase et exposent à un risque de surdosage pouvant favoriser les effets secondaires. Ces inhibiteurs sont des antifungiques : le kétokonazole, l’itraconazole et le posaconazole qui sont contre-indiqués. Les autres inhibiteurs sont methoslalène et la cimétidine. Le pamplemousse doit être évité.

Les anti-protéases diminuent l’élimination de médicaments métabolisés par les mêmes voies : les anti-­arythmiques (amiodarone, flécaïnide, propafénone, quinidine et bépridil) exposent à un allongement de l’espace Q-T et à un risque de torsade de pointe. De la même façon, les dérivés de l’ergot de seigle (dihydroergotamine, ergotamine) peuvent entraîner des risques graves. Il faut éviter le midazolam, le sildenafil, le cisapride et certaines statines : la simvastatine et lovastatine.

Les anti-protéases augmentent l’élimination de certains médicaments qui présentent de ce fait le risque d’être moins efficaces : éthinyloestradiol (contraception), escitalopram, desipramine et zolpidem).

Les trithérapies en pratique

La posologie du bocéprévir (Victrelis®) est de 4 gélules de 200 mg toutes les 8 heures, celle du télaprévir (Incivo®) de 2 comprimés à 375 mg toutes les 8 heures, à prendre pour les deux avec de la nourriture. L’AMM préconise l’association de l’une ou l’autre des deux anti-protéases au PegInterféron laissant libre le choix de la molécule d’interféron pégylé. Les schémas de traitement sont résumés sur les figures 1 et 2. Le traitement par Incivo® comporte toujours une phase de trithérapie initiale de 12 semaines, suivie d’une bithérapie de durée variable. Le traitement par Victrelis® est toujours précédé d’une phase de bithérapie initiale de 4 semaines. Chez le malade sans cirrhose, l’obtention d’une eRVR permet de réduire à 24 semaines la durée du traitement. Chez le malade cirrhotique, la durée totale du traitement est de 48 semaines. La dose de l’inhibiteur de protéase ne doit pas être réduite, car cela risque de faciliter l’émergence de souches résistantes et d’entraîner un échec thérapeutique. Dans les études utilisant le bocéprévir, le respect de la durée du traitement (> 80 %, < 80 %) influence significativement le taux de réponse soutenue [19]. En revanche, l’oubli de quelques doses de bocéprévir ne semble pas avoir d’impact sur cette réponse. Il faut évaluer les traitements associés avant et pendant la trithérapie et arrêter ou remplacer ceux qui sont contre-indiqués. Il est conseillé d’utiliser des documents téléchargeables pour définir les interactions médicamenteuses et guider les choix thérapeutiques avant tout traitement sur les sites www.hep-druginteractions.org. ou www.pharmacoclin.ch.

Il faut revoir les malades tous les 15 jours pendant le premier mois et autant de fois que cela s’avère nécessaire. En présence d’une anémie à moins de 10 g/L d’hémoglobine, l’utilisation de l’érythropoïétine permet de maintenir plus souvent la pleine dose de ribavirine et améliore la qualité de vie. Il est préférable si besoin de réduire les doses de ribavirine par paliers de 200 mg après l’obtention d’une virémie indétectable. Lors d’un traitement par le télaprévir, l’appli­cation systématique quotidienne, dès le début, de crèmes hydratantes (Déxéryl®) est souhaitable. Il faut pouvoir disposer d’un avis dermatologique rapide. Le télaprévir est maintenu en présence d’une dermatite eczématiforme localisée avec ou sans prurit (grade 1). Il peut être maintenu en présence d’une dermatite eczématiforme de grade 2 après avis du ­dermatologue. Le traitement de la ­dermatite repose sur l’utilisation de dermocorticoïdes (Diprosone®) et d’antihistaminiques (Xyzal®, Aerius®). L’extension de l’éruption ou l’apparition d’autres signes cutanés ou généraux cliniques (fièvre, adénopathies) ou biologiques (augmentation du taux des éosinophiles, de la créatinine ou des transaminases) doit faire arrêter le télaprévir. L’arrêt du telaprevir à partir du deuxième mois de traitement réduit peu le pourcentage de réponse soutenue (69 % vs 75 %) mais expose à la sélection plus fréquente de variants résistants (13 % vs 8 %) [10]. La suspi­cion de SJS ou de DRESS doit faire arrêter tous les traitements et hospitaliser le patient [2].

La mesure répétée de la charge virale permet de définir le délai de négativation virale, d’adapter la durée du traitement et de reconnaître un éventuel échappement. Celle-ci doit être effectuée par une méthode quantitative sensible utilisant un test par PCR en temps réel. La charge virale doit être effectuée le jour du début du traitement, puis toutes les 4 semaines jusqu’à l’obtention d’une virémie indétectable. Compte tenu de la cinétique de décroissance virale très rapide au cours des deux premières semaines sous trithérapie, il est important de contrôler la charge virale 2 semaines après le début du traitement (S2 pour le télaprévir ou S6 pour le bocéprévir) afin d’anticiper la décision thérapeutique prise à S4. Le point S2 correspond à un prélèvement réalisé le matin de la troisième, le point S4 au matin de la cinquième injection. En cas de trithérapie avec le télaprévir, une mesure de la charge virale à S16, c’est-à-dire 4 semaines après l’arrêt du ­télaprévir, est utile pour identifier un échappement lors du passage à la bithérapie. Après l’arrêt du traitement, la mesure de la charge virale à 4, 12 et 24 semaines permet de définir une réponse soutenue. La poursuite du traitement par trithérapie est une attitude logique si la décroissance de la charge virale se poursuit régulièrement. Une remontée de la charge virale sous trithérapie traduit, si l’obser­vance est satisfaisante, l’apparition d’une résistance à l’anti-protéase qui doit être interrompue. Les règles ­d’arrêt des traitements sont : pour l’Incivo® charge virale supérieure à 1 000 UI/ml à S4 et S12 et pour le Victrelis® charge virale supérieure à 100 UI/ml à S12 et détectable à S24. Quelle que soit la molécule, une charge virale détectable à S12 ou S24 rend très peu probable une réponse ­soutenue.

La résistance aux inhibiteurs de protéase de première génération est la conséquence de plusieurs substitutions d’aminoacides. Elle confère une résistance croisée à tous les inhibiteurs de protéase de première génération [2]. L’administration d’un inhibiteur de protéase sélectionne les variants viraux résistants déjà présents, qui croissent de façon exponentielle jusqu’à devenir majoritaires si le traitement est poursuivi [2]. La sélection de variants résistants est essentiellement liée à une réponse insuffisante à l’interféron et à la ribavirine. Dans les essais de phase 3, environ la moitié des malades en échec thérapeutique étaient porteurs de populations virales résistantes dominantes au moment de l’échappement. La décroissance des souches résistantes commence dès l’arrêt de l’inhibiteur de protéase. Elle est lente et aboutit, après plusieurs mois ou années, à leur remplacement par une population virale majoritaire sensible. Il n’existe aujourd’hui aucune indication à la recherche de variants viraux résistants au télaprévir ou au bocéprevir en pratique clinique [2].

Figure 1. Schémas thérapeutiques AMM : Télaprévir

Figure 2. Schémas thérapeutiques AMM : Bocéprévir

Conclusions

En dehors de cas particuliers, malades de génotype CC jamais traités à fibrose minime, la trithérapie incluant Incivo® ou Victrelis® est devenue dès la fin de l’année 2011, le traitement de référence des malades atteints d’hépatite chronique virale C de génotype 1. Toutes les connaissances acquises par l’utilisation des bithérapies seront utiles à la réussite d’une trithérapie. Si l’amélioration de l’efficacité obtenue par les trithérapies est indiscutable, permettant souvent de raccourcir la durée de traitement, il faut tenir compte de la possibilité de nouveaux effets secondaires, du risque de survenue de variants viraux résistants en cas de non réponse, et du surcoût lié aux anti-protéases.

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Les 5 points forts

  1. Les antiprotéases (telaprevir, boceprevir) sont indiquées uniquement dans le traitement du VHC de génotype 1.
  2. La détermination du génotype de l’IL28B chez les malades G1 naïfs, ayant une fibrose peu sévère F0-F2 permet de définir un sous groupe (CC) chez lequel une bithérapie est suffisante.
  3. En dehors de ce cas particulier, la trithérapie (antiprotéase + Peginterféron + ribavirine) est le nouveau traitement de référence des malades atteints d’hépatite chronique C de génotype 1.
  4. Une réponse virologique rapide et maintenue (dans 44 à 63 % des cas), en l’absence de cirrhose, permet de raccourcir la durée de la trithérapie.
  5. La trithérapie génère des effets secondaires supplémentaires (anémie, dysgueusie, éruption cutanée) et présente le risque de sélection de variants viraux résistants en cas de non réponse.