Proctologie de la femme enceinte (post-partum exclu)

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les principales affections proctologiques observées au cours de la grossesse
  • Connaître les principaux traitements de la crise hémorroïdaire chez la femme enceinte et ceux qui sont contre indiqués
  • Connaître les principes thérapeutiques de prise en charge des troubles fonctionnels anorectaux pendant la grossesse
  • Connaître les principales indications et les modalités de la chirurgie proctologique au cours de la grossesse

Introduction

Si la grossesse et l’accouchement sont généralement considérés comme des épisodes heureux de la vie féminine, ces évènements peuvent s’entacher d’affections proctologiques douloureuses bien moins agréables. Moins de 50 % des femmes sont informées de ces désagréments potentiels [1]. Si toutes les affections proctologiques peuvent s’observer lors de la grossesse, la pathologie la plus fréquente est la thrombose hémorroïdaire, sources de douleurs anales aiguës (« crise hémorroïdaire »). La constipation est bien souvent le primum movens de cette pathologie.

Constipation et grossesse

La prévalence de la constipation est augmentée au cours de la grossesse affectant environ un tiers des femmes [2]. Les mécanismes de ces troubles du transit sont multiples. L’absorption colique de l’eau est augmentée entre les 12 et 20es semaines d’aménorrhée [3]. La motricité intestinale est diminuée sous l’effet de l’imprégnation hormonale oestroprogestative [4] de l’augmentation des taux sériques de relaxine [5] et de la diminution de sécrétion de motiline [6]. Certains auteurs ont suggéré que la croissance foetale pouvait entrainer une malrotation intestinale en fin de grossesse [7], le volume utérin et sa dextrorotation éventuelle peuvent également gêner la progression du bol fécal. Outre cet allongement du temps de transit colique, une dyschésie peut être présente touchant respectivement 23,5 et 16 des femmes au premier et troisième trimestres [2].

Maladie hémorroïdaire

Épidémiologie et présentation clinique

La maladie hémorroïdaire peut se manifester sous tous ses modes d’expression clinique au cours de la grossesse : rectorragies, prolapsus, thromboses. Mais c’est surtout au cours du 3e trimestre qu’elle s’exprime, généralement par des manifestations thrombotiques. Les données épidémiologiques concernant la maladie hémorroïdaire dans la population générale sont finalement peu importantes eu égard à la fréquence de ce type de troubles. La prévalence de la maladie augmente avec l’âge, elle n’est pas liée au sexe. Les femmes souffrant de cette affection ont eu fréquemment une ou plusieurs grossesses. Elles rattachent souvent chronologiquement le début de leur pathologie à ces épisodes de leur vie [8]. La prévalence de la pathologie hémorroïdaire chez les femmes enceintes varie dans la littérature de 7,9 à 38 % [9-11].

Les facteurs favorisants les thromboses hémorroïdaires au cours de la grossesse sont multiples. La constipation est un facteur favorisant admis de la maladie hémorroïdaire. La dyschésie est un facteur indépendant augmentant le risque de survenue d’une crise hémorroïdaire au cours de la grossesse [9]. Il existe un bouleversement hormonal au cours de la grossesse or on sait que le tissu hémorroïdaire est riche en récepteurs oestrogéniques et sensibles aux variations hormonales [12]. Le ligament de Parks, qui constitue le ligament suspenseur des hémorroïdes au canal anal, se relâche au cours de la grossesse sous l’effet de cette imprégnation oestro-progestative [13]. Enfin, la gêne au retour veineux en fin de grossesse liée à l’utérus gravide et l’augmentation du volume sanguin circulant de 25 à 40 % favorisent la survenue d’une pathologie hémorroïdaire.

La grossesse est moins propice aux thromboses que le post-partum immédiat (8 % des femmes au cours du 3e trimestre de la grossesse versus 20 % des parturientes) [9]. De façon caractéristique les thromboses hémorroïdaires chez les femmes enceintes sont très oedémateuses, rarement uniques (fig.1). Il s’agit souvent de polythromboses internes extériorisées.

Traitement

Le traitement de la thrombose hémorroïdaire chez la femme enceinte doit être prudent en raison des effets possiblement iatrogènes des médicaments sur le foetus. Le Centre de Référence des Agents Tératogènes, facilement consultable en ligne (http://www.lecrat.org) a établi des recommandations concernant l’usage des différentes classes médicamenteuses au cours de la grossesse. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), très efficaces sur les douleurs d’origine hémorroïdaire [14], sont ainsi formellement contre-indiqués à partir de la 24e semaine d’aménorrhée (5 mois de grossesse révolus) en raison du risque de fermeture prématurée du canal artériel qu’ils entrainent. Cette recommandation est également valable pour l’aspirine (posologie = 500 mg/j) et les inhibiteurs de cox-2. En cas d’oedème important une corticothérapie par voie orale peut être prescrite sans risque (40 à 60 mg/j pendant 3 à 5 jours). L’incision ou l’excision sous anesthésie locale sont en règle rarement possibles, car ces gestes sont indiqués uniquement en cas de thrombose hémorroïdaire externe unique non oedémateuse [14].

Dans tous les cas, la régulation du transit intestinal est indiquée, elle fait appel aux mucilages, aux laxatifs osmotiques ou huileux qui ne sont pas absorbés et donc sans danger pour le foetus. L’efficacité préventive de ce type de traitement sur la maladie hémorroïdaire n’a pas été évaluée [8].

Les traitements topiques, d’action purement locale peuvent être utilisés sans risque. Bien que largement prescrits, ces traitements n’ont pas été rigoureusement évalués dans la littérature. Deux travaux chinois [15,16] confortent cependant les Recommandations pour la Pratique Clinique concernant la maladie Hémorroïdaire validant leur utilisation [14]. Les spécialités contenant un corticoïde et/ou un anesthésique local sont à privilégier pour leur effet anti oedémateux et antalgique.

Selon l’intensité des douleurs, des antalgiques de palier 1 à 2 peuvent être utilisés. Le paracétamol et en cas de besoin le dextropropoxyphène ou la codéine sont utilisables à la posologie usuelle. Le tramadol, en traitement court, peut être prescrit en cas d’inefficacité des précédentes options thérapeutiques. Les opioïdes légers utilisés jusqu’à l’accouchement à doses suprathérapeutiques peuvent être responsables d’un syndrome de sevrage chez le nouveau-né. Exceptionnellement l’intensité des douleurs peut nécessiter le recours aux antalgiques de palier 3, dans ce cas la morphine est à privilégier car c’est l’antalgique de cette classe qui a été le mieux étudié au cours de la grossesse. Si le traitement est poursuivi jusqu’à l’accouchement, il faut en informer l’équipe de la maternité pour lui permettre d’adapter l’accueil du nouveau-né (risque de syndrome de sevrage voire de détresse respiratoire néonatale en cas d’utilisation de fortes doses juste avant ou pendant l’accouchement).

L’utilisation des veinotoniques (flavonoïdes) est possible au cours de la grossesse mais l’efficacité de ce type de traitement sur les manifestations cliniques de la maladie hémorroïdaire est discutée [17].

Le traitement instrumental n’a pas d’efficacité sur les manifestations thrombotiques de la maladie hémorroïdaire, la sclérothérapie étant par ailleurs contre-indiquée au cours de cette période (absence de toxicité foetale des produits sclérosants non démontrée) [14].

Exceptionnellement, lorsque survient une polythrombose interne extériorisée sphacélée, il peut être nécessaire de recourir à un traitement chirurgical en urgence (hémorroïdectomie pédiculaire). Ce geste n’a pas de complication propre à la grossesse mais il nécessite, comme toute chirurgie chez la femme enceinte, un monitoring foetal étroit [18].

Fissure anale

Toutes les douleurs anales aiguës observées au cours de la grossesse ne sont pas en rapport avec une pathologie hémorroïdaire. La fissure anale peut être observée en cette occasion. Elle survient cependant le plus souvent après l’accouchement. Très peu de données existent sur sa fréquence pendant la grossesse. Dans un travail prospectif mené chez 165 femmes enceintes examinées systématiquement au cours du dernier trimestre, la prévalence de la fissure anale était de 1,2 % versus 15,2 % en post-partum [9].

Si la fissure anale du post-partum est commissurale antérieure 2 fois sur 3 (versus 15%des fissures idiopathiques « classiques ») et associée à une hypotonie sphinctérienne, aucune donnée n’existe sur les caractéristiques de la fissure anale observée au cours de la grossesse. La constipation, et en particulier la dyschésie, est le facteur de risque principal de cette affection. Son traitement est quasi exclusivement médical, visant à régulariser le transit, utilisant les topiques cicatrisant et les antalgiques. Aucune donnée de la littérature n’est disponible concernant le passage à la chronicité et le recours à la chirurgie qui doit être exceptionnel au cours de la grossesse (fissure hyperalgique résistant au traitement médical).

Abcès de l’anus

Il n’existe pas de donnée de la littérature spécifique concernant les abcès de l’anus, au cours de la grossesse. Il semble que l’épidémiologie de cette affection ne soit pas modifiée par cet évènement de la vie féminine.

En pratique il peut arriver qu’un abcès survienne au cours de la grossesse. Parfois, une simple incision sous anesthésie locale permet de passer un cap (lorsque le terme est proche) et de soulager la patiente. Sinon le traitement est le drainage chirurgical en urgence, associé le plus souvent à la mise en place d’un drainage par séton en cas de fistule. Lorsqu’un second temps opératoire est nécessaire pour traiter la fistule, il sera réalisé à distance de l’accouchement. Selon la hauteur et la topographie antérieure ou non du trajet fistuleux, il faudra prendre en compte cette pathologie proctologique dans le choix de la voie d’accouchement, une délivrance par voie périnéale pouvant favoriser la survenue d’une incontinence fécale. Lorsqu’une antibiothérapie est nécessaire, l’utilisation du métronidazole est possible, quel que soit le terme.

Maladie de Crohn ano-périnéale

L’existence d’une maladie de Crohn ano-périnéale active doit faire discuter un accouchement par césarienne comme le souligne ECCO (European Crohn’s and Colitis Organisation) dans ses recommandations 2010. En effet, le risque d’incontinence anale séquellaire après accouchement par voie vaginale est accru chez ces patientes. L’épisiotomie doit en outre être évitée car source de difficultés de cicatrisation et de lésions persistantes ; elle est cependant préférable à une déchirure périnéale de haut grade.

Incontinence anale et grossesse

Il est maintenant bien connu que l’accouchement par voie vaginale est un facteur de risque d’incontinence anale par le biais de lésions sphinctériennes et neurologiques (neuropathie pudendale). La grossesse en elle-même peut induire des troubles de la continence. Ainsi dans un travail prospectif réalisé chez 1128 nullipares continentes, des troubles de la continence anale sont apparus au cours de la grossesse dans 10,3 % des cas, ces troubles étant d’autant plus fréquents que l’âge de la femme augmentait et qu’il existait une prise de poids excessive pendant la grossesse [19]. Ce même travail montrait que l’accouchement par voie vaginale était un facteur de risque d’incontinence anale du post-partum uniquement chez les femmes ayant des troubles de la continence pendant la grossesse. Dans une autre étude, la prévalence de l’incontinence anale chez la nullipare était de 14 % [20]. Ces données sous tendent que l’incontinence anale du post partum est multifactorielle et que des troubles de la statique pelvienne acquis au cours de la grossesse peuvent jouer un rôle. En tout état de cause, elles incitent à dépister les troubles de la continence anale même minimes chez la femme enceinte (incontinence aux gaz, troubles résolutifs au décours d’un précédent accouchement), à rechercher d’éventuels antécédents chirurgicaux anaux, un syndrome de l’intestin irritable, pour le cas échéant informer la patiente du risque potentiel de l’accouchement par voie vaginale et discuter avec son obstétricien de l’opportunité de recourir à une césarienne en dépit du risque propre de ce mode de délivrance. L’utilité d’une rééducation sphinctérienne pendant la grossesse n’est pas démontrée contrairement à l’incontinence urinaire [21].

Conclusion

Les manifestations proctologiques de la grossesse sont dominées par les thromboses hémorroïdaires et la fissure anale. La constipation qui est favorisée par les modifications hormonales de la grossesse est le principal facteur étiologique de ces pathologies. Le traitement de ces affections douloureuses est le plus souvent médical, il doit tenir compte des règles d’utilisation des médicaments au cours de cette période de la vie féminine.

Références

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Les 4 points forts

  1. La prévalence de la pathologie hémorroïdaire chez les femmes enceintes est augmentée.
  2. Les thromboses hémorroïdaires sont le plus souvent oedémateuses, ce qui implique que l’incision ou l’excision de celles-ci sont exceptionnellement possibles.
  3. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ne peuvent être utilisés après la 24e semaine d’aménorrhée ; ils peuvent être remplacés par une corticothérapie par voie orale.
  4. Le traitement de la constipation de la grossesse ne doit pas être négligé.