[Atelier] Maladie de Crohn : que faire quand tout a échoué ?

Objectifs pédagogiques

  • Savoir remettre en question le diagnostic de maladie de Crohn ;
  • Savoir distinguer un véritable échec d’un syndrome de l’intestin irritable ou de séquelles d’une résection intestinale ;
  • Connaître les complications qui peuvent se présenter comme un échec du traitement ;
  • Savoir distinguer l’échec primaire de la perte de réponse ;
  • Connaître les molécules innovantes évaluées dans le traitement de la maladie de Crohn.

Introduction

Dans la maladie de Crohn, l’échec correspond à des situations cliniques très variées selon les thérapeutiques déjà reçues par le malade, leur tolérance et leur efficacité. De ce fait, il est impossible de fournir un guide qui puisse répondre à toutes les situations cliniques. Toutefois, on peut proposer une conduite raisonnée.

Enquête préliminaire

Avant d’affirmer l’échec, il faut répondre à trois questions.

S’agit-il vraiment d’une maladie de Crohn (MC) ?

Le diagnostic de MC est évoqué par l’histoire clinique (douleurs intestinales et diarrhée pendant au moins 4 semaines ou plus de 2 épisodes en six mois, rectorragies, amaigrissement, anémie). La calprotectine fécale, la vidéo-capsule, l’entéro-IRM et l’entéro- scanner renforcent la suspicion clinique mais le diagnostic repose sur l’endoscopie (gastroscopie, iléocoloscopie ou entéroscopie) et les biopsies. Des erreurs diagnostiques sont possibles, même avec une histologie évocatrice (lymphome, tuberculose, yersiniose, colite ischémique dans l’expérience des auteurs).

S’agit-il d’une complication de la maladie ?

Il s’agit bien d’une MC mais l’échec n’est-il pas dû à une complication de la maladie ? Un abcès du périnée ou de l’abdomen est traité par antibiotiques et drainage. Une sténose fibreuse par chirurgie ou dilatation endoscopique. Des cancers de l’intestin grêle, du côlon ou du canal anal sont parfois confondus avec des manifestations de la MC alors qu’ils relèvent, à l’évidence, d’un traitement différent.

S’agit-il vraiment d’un échec ?

Les symptômes d’échec reflètent-ils une activité de la maladie ou une autre affection comme :

  • une diarrhée par malabsorption des acides biliaires ;
  • une infection à Clostridium difficile, à CMV, à BK… ;
  • un syndrome de l’intestin irritable ;
  • une maladie coeliaque ou une pancréatite chronique associée ?

Les douleurs intestinales, la diarrhée chez un malade atteint de MC ne sont pas toujours des manifestations de la MC. Pour affirmer que l’on est en situation d’échec, il faut disposer d’une endoscopie ou d’une imagerie du grêle montrant des lésions actives. Il faut avoir éliminé une surinfection par les examens appropriés : toxine et culture de Clostridium difficile, PCR CMV, PCR BK. Enfin, il est souhaitable de disposer de biopsies en site lésionnel pour éliminer un cancer.

Que faire devant un échec vrai ?

En 2011, le mot « tout » dans la phrase « Tout a échoué dans le traitement de la MC » signifie les immunosuppresseurs (méthotrexate et thiopurines) et les anti-TNFa. Un échec avéré du traitement anti-TNFa peut correspondre schématiquement à 3 situations : une non réponse primaire, une intolérance au traitement et une perte de réponse.

Non réponse primaire

La non réponse primaire doit être déterminée après 8 à 12 semaines d’anti-TNF, pas avant. Dans la « vraie vie », 11 % seulement des malades sont des non répondeurs primaires à l’infliximab (IFX). Avant d’instaurer un traitement par anti-TNFa, il est important de sélectionner les malades qui peuvent bénéficier d’un tel traitement. L’essai SONIC montre que les facteurs prédictifs de réponse à un traitement par anti-TNFa sont la présence de lésions endoscopiques, la CRP élevée et l’association en première ligne avec l’azathioprine [2, 3]. En cas de non réponse au traitement d’induction, on peut proposer de changer d’anti-TNFa. Mais très peu de données sont disponibles sur ce sujet. Dans le cas de l’IFX, l’étude ouverte CARE avec l’adalimumab en seconde ligne a montré que les taux de rémission chez les non répondeurs primaires étaient de 28 % et 36 % après 4 et 26 semaines de traitement respectivement.

Pour limiter le taux d’échec primaire, il faut appliquer les bons schémas d’induction, bien sélectionner les patients et associer probablement un traitement IS chez les patients naïfs [6].

Intolérance aux anti-TNFa

Réaction d’hypersensibilité sévère

En cas d’hypersensibilité sévère, respiratoire, circulatoire ou cutanée, il faut changer d’anti-TNF. Lorsqu’il n’y a pas d’alternative, il est possible de désensibiliser les malades allergiques à l’IFX. Cette méthode a été testée chez quelques malades, avec succès. Elle doit être effectuée en secteur de réanimation [7].

Infection sévère

Après une infection sévère, guérie par le traitement antibiotique ou antiviral (guérisons clinique et bactériologique ou virologique), il est possible de reprendre les anti-TNFa.

Lésions cutanées sévères

Les lésions cutanées eczématiformes ou psoriasiformes induites par les anti-TNFa sont sans gravité dans la majorité des cas. Il y a des formes sévères et qui ne répondent pas au traitement local. Elles peuvent conduire au remplacement du premier anti-TNF par un deuxième, voire un troisième agent de la même classe. Le plus souvent, les lésions cutanées récidivent après le remplacement d’un anti-TNF par un autre. Dans une série récente portant sur 85 malades ayant des lésions cutanées sévères apparues sous anti-TNF, un tiers des malades ont dû arrêter leur traitement pour cette raison [8].

Autres intolérances

De nombreuses autres réactions d’intolérance ont été décrites avec les anti-TNFa. L’arrêt des anti-TNF ou le changement pour un autre anti-TNF doit être discuté au cas par cas en fonction de la gravité de l’accident, des données de la littérature et des alternatives thérapeutiques.

Perte de réponse

La perte de réponse affecte 30 à 40 % des malades pendant la première année de traitement. Elle est due à une immunisation, une clairance accélérée ou à l’émergence de cytokines proinflammatoires différentes du TNF. En cas de perte de réponse secondaire lors du traitement d’entretien, il est recommandé d’optimiser le schéma d’administration avant de changer de molécule. Lorsque c’est l’IFX qui a été prescrit en première ligne, l’augmentation de la dose de 5 mg/kg à 10 mg/kg permet une réponse chez 86 % des malades avec une atteinte luminale [9] et chez deux tiers des patients avec une MC fistulisée [10]. La réduction de l’intervalle de perfusion à 6 ou 7 semaines est une autre possibilité, apparemment moins efficace que l’augmentation des doses mais il n’y a pas d’essai randomisé ayant comparé les deux modalités d’optimisation. Le dosage du taux d’infliximab plasmatique et la recherche d’anticorps antiinfliximab pourraient permettre d’affiner la stratégie thérapeutique en cas de perte de réponse mais on manque de données prospectives. Avec l’ADA, l’optimisation consiste à prescrire 40 mg par semaine. On obtient alors une réponse chez 69 % des patients dans l’essai CHARM [11]. L’augmentation de la dose à 80 mg par semaine n’est pas validée par des essais randomisés.

Après épuisement d’un anti-TNF, un traitement anti-TNF de deuxième ligne peut être envisagé, mais son efficacité est souvent moins bonne. Le recours à une 2e ligne est de plus en plus fréquent, mais toutes les stratégies n’ont pas encore été évaluées. Seul le passage de l’IFX à l’ADA (essai GAIN) ou au certolizumab (essai WELCOME) a été étudié. Dans l’essai GAIN, les taux de réponse et de rémission étaient respectivement de 52 et de 21 % à 4 semaines [12]. Les options après échec complet de 2 lignes d’anti-TNF sont limitées. Un traitement par un 3e anti-TNF a été évalué chez 67 patients dans une étude rétrospective multicentrique. Quarante avaient reçu le certolizumab et 27 l’ADA. Les taux de réponse et de rémission à la semaine 20 étaient respectivement de 51 et 22 % [13]. Deux décès sont survenus dans cette étude. Cette utilisation est réservée aux centres référents compte tenu du risque non négligeable de complications (décès, infection). Le retour au premier anti-TNF pourrait être une option alternative en cas d’échec successif des deux anti-TNF ; un essai du GETAID testant ce schéma est en préparation.

La situation d’échec des anti-TNF doit amener à étudier le dossier du patient point par point. L’efficacité et la tolérance des thiopurines et du méthotrexate doivent être soigneusement réévaluées. Ceci fait, on sera amené à proposer une intervention chirurgicale, un nouvel immunosuppresseur ou une nouvelle biothérapie dans le cadre d’un essai thérapeutique. La corticothérapie et la nutrition entérale peuvent parfois aider à passer un cap mais ne peuvent constituer un traitement à long terme.

La thioguanine, la thalidomide, les inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine et tacrolimus) ont montré une certaine efficacité dans des essais ouverts, au prix d’effets indésirables importants. Leurs indications sont aujourd’hui très rares. Le natalizumab est un anticorps monoclonal dirigé contre l’intégrine a-4, qui joue un rôle important dans la domiciliation des lymphocytes dans le cerveau et l’intestin. Son efficacité en traitement d’attaque et d’entretien a été démontrée dans des études randomisées contre placebo. Mais il y a un risque de leuco-encéphalite multifocale progressive due au virus JC. Pour cette raison, le natalizumab n’est pas disponible en Europe [14].

L’anticorps monoclonal dirigé contre la molécule a4ß7 est un autre inhibiteur de la domiciliation des lymphocytes. Il est spécifique de l’intestin et ne semble pas augmenter la charge virale JC. Un essai de phase 2 a donné des résultats encourageants (32 % de rémission à la 6e semaine vs 14 % avec le placebo). On est en attente des résultats des essais de phase 3. D’autres molécules inhibant la domiciliation des lymphocytes sont en développement (anticorps monoclonaux anti-MadCam1, anti-ß4, Traficet-EN, un antagoniste de CCR9 disponible par voie orale). Parmi les nombreuses autres molécules en développement, les anticorps monoclonaux dirigés contre la sousunité p40, commune à l’interleukine 23 et à l’interleukine 12, qui bloquent la voie Th1 et Th17 (ustekinumab et briakinumab) sont les plus proches de l’utilisation clinique. Ils sont disponibles dans le traitement du psoriasis sévère.

Plusieurs séries ont montré des résultats intéressants obtenus avec des autogreffes de cellules souches ou de cellules mésenchymateuses chez des malades très sélectionnés ayant une MC sévère, réfractaire aux anti-TNF. Les résultats à long terme de l’autogreffe de cellules souches ont été récemment publiés chez 24 malades. Cinq ans après la greffe, la plupart des malades ont eu au moins une rechute mais 80 % sont en rémission sans corticoïdes [15].

Conclusion

La bonne décision chez un malade atteint de MC chez qui tout a échoué prend du temps. Le dossier doit être revu de fond en comble, une endoscopie est le plus souvent nécessaire et il faut toujours garder en tête la possibilité d’une complication infectieuse, mécanique ou néoplasique.

Références

  1. Schnitzler F, Fidder H, Ferrante M, Noman M, Arijs I, Van Assche G, et al. Long-term outcome of treatment with infliximab in 614 patients with Crohn’s disease: results from a singlecentre cohort. Gut 2009;58(4): 492-500.
  2. Colombel JF, Sandborn WJ, Reinisch W, Mantzaris GJ, Kornbluth A, SONIC Study Group, et al. Infliximab, azathioprine, or combination therapy for Crohn’s disease. N Engl J Med 2010;362(15):1383-95.
  3. Cosnes J, Cattan S, Blain A, Beaugerie L, Carbonnel F, Parc R, et al. Longterm evolution of disease behavior of Crohn’s disease. Inflamm Bowel Dis 2002;8(4):244-50.
  4. Van Assche G, Dignass A, Panes J, Beaugerie L, Karagiannis J, European Crohn’s and Colitis Organisation (ECCO), et al. The second European evidence-based Consensus on the diagnosis and management of Crohn’s disease: definitions and diagnosis. J Crohns Colitis 2010;4(1):7-27.
  5. Farrell RJ, Alsahli M, Jeen YT, Falchuk KR, Peppercorn MA, Michetti P. Intravenous hydrocortisone premedication reduces antibodies to infliximab in Crohn’s disease: a randomized controlled trial. Gastroenterology 2003;124(4):917-24.
  6. D’Haens GR, Panaccione R, Higgins PD, Vermeire S, Gassull M, Chowers Y, et al. The London Position Statement of the World Congress of Gastroenterology on Biological Therapy for IBD With the European Crohn’s and Colitis Organization: When to Start, When to Stop, Which Drug to Choose, and How to Predict Response? Am J Gastroenterol 2010.
  7. Lelong J, Duburque C, Fournier C, Colombel JF, Desreumaux P, Tonnel AB, et al. Desensitisation to infliximab in patients with Crohn’s disease. Rev Mal Respir 2005;22(2 Pt 1):239-46.
  8. Rahier JF, Buche S, Peyrin-Biroulet L, et al. Severe skin lesions cause patients with inflammatory bowel disease to discontinue antitumor necrosis factor therapy. Clin Gastro Hepatol 2011; sous presse.
  9. Rutgeerts P, Feagan BG, Lichtenstein GR, Mayer LF, Schreiber S, Colombel JF, et al. Comparison of scheduled and episodic treatment strategies of infliximab in Crohn’s disease. Gastroenterology 2004;126(2):402-13.
  10. Sands BE, Anderson FH, Bernstein CN, Chey WY, Feagan BG, Fedorak RN, et al. Infliximab maintenance therapy for fistulizing Crohn’s disease. N Engl J Med 2004;350(9):876-85.
  11. Colombel JF, Sandborn WJ, Rutgeerts P, Enns R, Hanauer SB, Panaccione R, et al. Adalimumab for maintenance of clinical response and remission in patients with Crohn’s disease: the CHARM trial. Gastroenterology 2007;132(1):52-65.
  12. Sandborn WJ, Rutgeerts P, Enns R, Hanauer SB, Colombel JF, Panaccione R, et al. Adalimumab induction therapy for Crohn disease previously treated with infliximab: a randomized trial. Ann Intern Med 2007.
  13. Allez M, Vermeire S, Mozziconacci N, Michetti P, Laharie D, Louis E, et al. The efficacy and safety of a third anti- TNF monoclonal antibody in Crohn’s disease after failure of two other anti- TNF antibodies. Aliment Pharmacol Ther 201;31(1):92-101.
  14. Rutgeerts P, Vermeire S, Van Assche G. Biological therapies for inflammatory bowel diseases. Gastroenterology 2009;136(4):1182-97.
  15. Burt RK, Craig RM, Milanetti F, et al. Autologous nonmyeloablative hematopoietic stem cell transplantation in patients with severe anti-TNF refractory Crohn’s disease: a long-term follow up. Blood 2010;116:6123-32.

Les 5 points forts

En cas d’échec du traitement :

  1. Confirmer l’activité de la maladie : coloscopie.
  2. Chercher un facteur de résistance : CMV, colite à clostridium, abcès, sténose, cancer…
  3. Optimiser le traitement anti-TNF : augmenter la dose et/ou réduire l’intervalle.
  4. Envisager une 2e ou une 3e ligne d’anti-TNF en cas de non réponse primaire, d’intolérance ou de perte de réponse.
  5. Rediscuter la place des traitements traditionnels et de la chirurgie.