Les nouveaux traitements anti-VHC, comment les utiliser ? De la virologie à la clinique

Objectifs pédagogiques

  • Connaître l’état d’avancement des recherches dans la thérapeutique de l’hépatite C
  • Savoir que dire aux malades en échec thérapeutique en 2010
  • Savoir pour quels malades et dans quel délai il sera possible de prescrire une trithérapie antivirale

Introduction

Le traitement de l’hépatite chronique C repose sur l’association de peginterféron et de ribavirine [1, 2]. Le peginterféron a une action antivirale démontrée mais non spécifique contre le virus de l’hépatite C (VHC). La ribavirine n’inhibe pas de façon notable la réplication du VHC mais, associée au peginterféron, elle augmente les chances de réponse virologique soutenue (RVS), surtout en diminuant le risque de rechute virologique après l’arrêt du traitement [3]. Malgré plus de 10 ans d’utilisation, les mécanismes d’action de la ribavirine restent largement inconnus.

Pendant de nombreuses années, il n’a pas été possible de développer des molécules pouvant bloquer de façon spécifique la réplication du VHC car il n’existait pas de modèles animaux ou de cultures cellulaires du VHC reproductibles. Ces dernières années, des progrès notables ont été réalisés grâce à la mise au point des « réplicons » qui sont des systèmes de réplication in vitro du VHC basés sur la transfection par le sub-génome ou le génome entier du VHC dans des lignées d’hépatome permettant la production de particules virales infectantes. Actuellement, les modèles « réplicons » disponibles permettent uniquement la réplication de génotype 1a, 1b et 2a [4]. Grâce à ces modèles, l’effet antiviral de nombreuses molécules a pu être testé, ce qui a abouti, pour certaines d’entre elles, à des études chez l’homme.

Ainsi, le nombre des nouvelles molécules spécifiques anti-VHC testé actuellement chez l’homme augmente de jour en jour. Lors du congrès de l’EASL 2009, on a pu dénombrer sept études cliniques concernant différents inhibiteurs de protéase et pas moins d’une douzaine d’études concernant des inhibiteurs de polymérase du VHC. Parallèlement, d’autres stratégies sont développées comme les analogues des cyclophilines avec trois molécules en cours de développement.

Deux inhibiteurs de protéase de première génération, le telaprevir et le boceprevir, sont actuellement évalués dans des études de phase III chez les patients infectés par un génotype 1 naïfs mais également en échec thérapeutique. Les dossiers d’AMM de ces deux molécules seront probablement évalués en fin 2010-début 2011.

Résultats des études chez les patients naïfs

Telaprevir

Génotype 1

Le telaprevir est une antiprotéase spécifique du VHC sous forme de comprimés de 750 mg à prendre toutes les 8 heures (ce qui est différent de 3 fois par jour !), préférentiellement lors d’une prise alimentaire riche en graisse. Deux études de phase IIb ont été menées chez les patients non cirrhotiques, naïfs génotype 1, l’une aux États-Unis (PROVE 1) et l’autre en Europe (PROVE 2). Les résultats de ces deux études ont été publiés récemment [5, 6]. Les deux études montrent la supériorité de la trithérapie par rapport à la bithérapie, avec un gain de RVS d’au moins 20 %.

Dans l’étude européenne PROVE 2, 323 malades (56 % des malades inclus en France) ont été randomisés en quatre bras :

  • bras PR 48 (contrôle) : peginterféron a2a + ribavirine + placebo pendant 48 semaines ;
  • bras T12/PR24 : telaprevir + peginterféron a2a + ribavirine pendant 12 semaines puis peginterféron a-2a + ribavirine pendant 12 semaines ;
  • bras T12/PR12 : telaprevir + peginterféron a-2a + ribavirine pendant 12 semaines ;
  • bras T12/P12 : telaprevir + peginterféron a-2a pendant 12 semaines.

Les taux de RVS (ARN < 10 UI/mL) étaient respectivement de : 69 % dans le bras T12/PR24 (p = 0,04 vs bras contrôle PR48), 60 %dans le bras T12/ PR12 (p = 0,12), 36 %dans le bras T12/ P12 (sans ribavirine) (p = ns) et de 46 % dans le bras contrôle. L’absence de ribavirine diminuait les chances de RVS (Fig. 1). Le telaprevir augmentait l’asthénie et les manifestations cutanées de type prurit et surtout rashs cutanés. Il s’agissait, le plus souvent, de toxidermies qui régressaient à l’arrêt du telaprevir. Le risque d’anémie était augmenté dans le bras trithérapie.

Une étude de phase III est en cours actuellement. Elle a pour objectif de comparer trois bras thérapeutiques chez les patients naïfs infectés par un génotype 1 :

  • un traitement standard par peginterféron a-2a plus ribavirine pendant 48 semaines ;
  • une trithérapie associant telaprevir + peginterféron a-2a + ribavirine pendant 8 semaines suivis d’une bithérapie peginterféron a-2a + ribavirine pendant 16 ou 36 semaines selon la réponse virologique à 4 semaines ;
  • une trithérapie associant telaprevir + peginterféron a-2a + ribavirine pendant 12 semaines suivis d’une bithérapie peginterféron a-2a + ribavirine pendant 16 ou 36 semaines selon la réponse virologique à 4 semaines.

La fin de l’étude est prévue au 2e trimestre 2010.

Autres génotypes

Des études exploratoires ont été menées chez des patients naïfs infectés par un génotype 2, 3 ou 4. Les résultats montraient :

  • un effet antiviral net du telaprevir chez les patients infectés par un génotype 2 ;
  • l’absence d’effet antiviral chez les patients infectés par un génotype 3 ;
  • et des résultats aléatoires en cas d’infection par un génotype 4, peutêtre lié au sous-type viral.

Boceprevir

Le boceprevir est une antiprotéase spécifique du VHC qui se prend sous forme de comprimé de 800 mg toutes les 8 heures. Une étude de phase II, ayant inclus près de 80 % de patients américains, avait comme but d’évaluer la stratégie thérapeutique la plus efficace dans la prise en charge des malades naïfs de tout traitement, de génotype 1 traités par boceprevir en association avec une bithérapie peginterféron a-2b + ribavirine. En dehors de la comparaison de la trithérapie à la bithérapie, l’étude évaluait également les éléments suivants :

  • durée du traitement : 28 ou 48 semaines ;
  • intérêt d’un prétraitement par peginterféron a-2b + ribavirine pendant 4 semaines avant l’administration du boceprevir ;
  • dose standard de ribavirine de 800 à 1400 mg/j ou faible dose : 400 à 1000 mg/j (2e partie de l’étude).

La RVS était de 38 % pour le bras bithérapie standard contre 54 ou 56 % dans les deux bras avec une trithérapie pendant 24 semaines et de 67 à 75 % pour les bras avec une trithérapie pendant 48 semaines (Fig. 2). Dans la première partie de l’étude, les taux de RVS étaient significativement plus élevés dans tous les bras trithérapie par rapport au bras bithérapie. La RVS dans le bras ribavirine faible dose n’était que de 36 %. L’impact du prétraitement par peginterféron + ribavirine avant l’introduction du boceprevir sur la RVS reste à vérifier car il y avait un impact uniquement dans les bras 48 semaines et pas dans le bras 28 semaines.

Parmi les effets indésirables, la dysgueusie était plus fréquente avec le boceprevir (21 à 44 %) versus 9 % avec la bithérapie standard. Sur le plan hématologique, l’anémie était significativement plus fréquente avec le boceprevir (52 à 63 % versus 34 %).

Une étude de phase III est en cours actuellement. Elle a pour objectif de comparer trois bras thérapeutiques chez les patients naïfs infectés par un génotype 1 :

  • un traitement standard par peginterféron a-2b plus ribavirine pendant 48 semaines ;
  • un traitement standard par peginterféron a-2b plus ribavirine pendant 4 semaines suivie d’une trithérapie associant boceprevir + peginterféron a-2b + ribavirine pendant 24 ou 44 semaines selon la réponse virologique à 8 semaines ;
  • un traitement standard par peginterféron a-2b plus ribavirine pendant 4 semaines suivie d’une trithérapie associant boceprevir + peginterféron a-2b + ribavirine pendant 44 semaines.

La fin de l’étude est prévue au 2e- 3e trimestre de 2010.

Il est a noter qu’une autre étude compare actuellement la trithérapie peginterféron a-2a + ribavirine + boceprevir à une bithérapie peginterféron a-2a + ribavirine.

Patients en échec thérapeutique

Telaprevir : étude PROVE 3

Cette étude de phase IIb a inclus des patients de génotype 1 :

  • des « vrais » non-répondeurs définis par l’absence à S12 d’une diminution de la charge virale (CV) inférieure à 2 log10 lors d’un premier traitement par peginterféron + ribavirine ;
  • des non-répondeurs partiels qui ont présenté une diminution de la CV supérieure à 2 log10 à S12 du premier traitement ; des rechuteurs.

Elle comportait quatre bras : un bras contrôle avec une bithérapie et trois bras incluant du telaprevir dont un sans ribavirine (T12/PR24, T24/PR48 et T24/P24) [3]. Les caractéristiques des patients étaient les suivantes : 60 % de non-répondeurs (« vrais » non-répondeurs et non-répondeurs partiels), 35 % de rechuteurs et 5 % d’échappeurs, 11 à 20 % de cirrhose et 23 à 29 % de fibrose sévère. Les résultats sont dans l’ensemble prometteurs. Globalement, un traitement de 48 semaines (RVS : 52 %) ne semble pas apporter de bénéfice en termes de RVS par rapport à 24 semaines (RVS : 51 %), probablement en raison d’un nombre d’arrêt de traitement plus important dans ce groupe.

Chez les non-répondeurs (mélange de « vrais » non-répondeurs et de nonrépondeurs partiels dont la proportion est inconnue), le taux de RVS était respectivement de 39 et 38 %dans les bras T12/PR24 et T24/PR48 contre 9 % dans le bras traitement standard (p < 0,001). Chez les rechuteurs, les taux de RVS étaient respectivement de 69 et 76 % dans les bras T12/PR24 et T24/PR48 contre 29 % dans le bras traitement standard (p < 0,001) (Fig. 3).

Dans cette étude, il existait un certain nombre de règles d’arrêt de traitement pour éviter la survenue de mutation de résistance :

  • à S4 : bras TVR arrêt de traitement si ARN VHC > 30 UI/mL ; bras P/R, arrêt si diminution de la charge virale (CV) < 1 log10 ; à S12 : arrêt de traitement si la diminution de la CV < 2 log10 ;
  • à S24 : arrêt de traitement si ARN VHC détectable ;
  • arrêt de traitement en cas d’échappement viral caractérisé par une augmentation > 1 log de la charge virale entre S4 et S24 ou si ARN > 100 UI/ml après avoir été indétectable.

Il faut rester très prudent dans l’analyse des résultats chez les nonrépondeurs car il n’a pas été possible de distinguer les résultats chez les « vrais » non-répondeurs et les nonrépondeurs partiels. L’analyse des échappements est également primordiale avec la recherche de mutations de résistance (croisée avec d’autres produits ?) et l’évolution de ces souches dans le temps.

Une étude de phase III est actuellement en cours chez des patients infectés par un génotype 1 qui, lors d’un traitement précédent par peginterféron, ont été soit de vrai non-répondeurs, soit des non-répondeurs partiels, soit des rechuteurs.

Boceprevir

Une étude de phase II dans cette population avait été réalisée mais elle est ininterprétable car beaucoup de bras n’avait pas de ribavirine.

Actuellement, une étude de phase III est menée chez les patients rechuteurs ou les patients non-répondeurs partiels (patients ayant une diminution > 2 log10 à S12 mais un ARN détectable à S24).

Pourra-t-on se passer du peginterféron et/ou le la ribavirine ?

La réponse est clairement non dans l’immédiat. Cependant, une première étude exploratoire est en cours actuellement. Elle teste la tolérance et l’efficacité de l’association d’une antiprotéase et un inhibiteur de l’ARN polymérase pendant 14 jours chez les patients naïfs infectés par un génotype 1. Ces molécules ne présentent pas de résistance croisée et le risque d’interaction entre les deux molécules paraît faible. Les premiers résultats sur le plan virologique semblent prometteurs mais doivent être confirmés au long cours.

Questions en suspens

L’avènement de ces nouvelles molécules semble être un progrès certain. Cependant, certains points méritent une certaine prudence ou du moins une réflexion, comme par exemple :

  • la gestion des effets secondaires dans la pratique courante (manifestations cutanées, anémie) ; ils nécessiteront probablement un suivi précoce très attentif ;
  • les interactions médicamenteuses dans la vraie vie (les patients étaient très sélectionnés dans les études). Dans la plupart des études, les patients sous buprénorphine (Subutex®) ou méthadone étaient exclus du fait d’un risque d’interactionmédicamenteuse potentielle ;
  • le problème de l’observance (telaprevir et boceprevir se prennent toutes les 8 heures et non pas 3 ×/ jour) risque de favoriser les mutations de résistance ;
  • le risque de survenue de mutations de résistance avec un risque potentiel de résistance croisée avec d’autres molécules de la même classe ; ceci risque d’être particulièrement vrai en cas de retraitement des patients « vrais » nonrépondeurs. Il sera important de définir de nouvelles règles d’arrêt de traitement pour éviter au maximum l’émergence de souche résistantes ;
  • la nécessité ou non de faire une bithérapie PEG plus ribavirine avant de commencer la trithérapie, l’avantage de cette stratégie permettrait :
    1. d’éviter une trithérapie inutile chez les patients répondeurs rapides,
    2. d’éviter une trithérapie à risque de sélectionner des résistances chez les répondeurs-nuls au traitement par peginterféron + ribavirine. En revanche, ce prétraitement risque d’être difficile à mettre en place dans la pratique courante.

Conclusion

Le telaprevir ou le boceprevir associés au peginterféron et à la ribavirine permettent un gain de RVS d’au moins 20 % chez les patients naïfs infectés par un génotype 1. Le bénéfice semble également réel chez les patients ayant rechuté après un traitement par bithérapie et probablement chez les nonrépondeurs partiels. En revanche, il reste à démontrer chez les « vrais » non-répondeurs chez qui le risque d’émergence de mutation de résistance est théoriquement le plus élevé. Si les résultats des études de phase III confirment les résultats virologiques et le profil de tolérance acceptable retrouvés dans les études de phases IIb, il est probable que le telaprevir et le boceprevir auront leur AMM courant 2011.

Références

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  2. Fried MW, Shiffman ML, Reddy KRet al. Peginterferon alfa-2a plus ribavirinfor chronic hepatitis C virusinfection. N Engl J Med 2002;347:975-82.
  3. Bronowicki JP, Ouzan D, Asselah Tet al. Effect of ribavirin in genotype 1patients with hepatitis C respondingto pegylated interferon alfa-2a plusribavirin. Gastroenterology 2006;131:1040-8.
  4. Bartenschlager R. Hepatitis C virusmolecular clones: from cDNA to infectiousvirus particles in cell culture.Curr Opin Microbiol 2006;9:416-22.
  5. McHutchison JG, Everson GT,Gordon SC et al. Telaprevir withpeginterferon and ribavirin for chronicHCV genotype 1 infection. N EnglJ Med 2009;360:1827-38.
  6. Hézode C, Forestier N, Dusheiko Get al. Telaprevir and peginterferonwith or without ribavirin for chronicHCV infection. N Engl J Med 2009;360:1839-50.
  7. Kwo P, Lawitz E, McCone J et al. HCVSPRINT-1 final results: SVR 24 froma phase 2 study of boceprevir pluspegintron® (peginterferon alfa-2b)/ribavirin in treatment-naïve subjectswith genotype-1 chronic hepatitis C.J Hepatol 2009; 50(suppl. 1):S4.
  8. Manns M, Muir A, Adda N et al.Telaprevir in hepatitis C genotype-1-infected patients with prior non response,viral breakthrough or relapseto PEGinterferon-alfa-2a/b and ribavirintherapy: SVR results of thePROVE3 study. J Hepatol 2009;50(suppl. 1):S379
  9. Gane EJ, Roberts SK, Stedman C et al. First-in-man demonstration of potent antiviral activity with a nucleoside polymerase (R7128) and protease [R7227/ITMN-191) inhibitor combination in HCV: safety, pharmacokinetics, and virologic results from INFORM-1. J Hepatol 2009;50(suppl. 1):S380.

Les 5 points forts

  • Le telaprevir ou le boceprevir associés au peginterféron et à la ribavirine semblent permettre un gain de RVS d’au moins 20 % chez les patients naïfs infectés par un génotype 1.
  • Le telaprevir associé au peginterféron et à la ribavirine semblent multiplier par 3 les chances de RVS chez les patients ayant rechuté après une bithérapie et par 4 chez les patients non-répondeurs à une bithérapie.
  • Les risques d’effets secondaires cutanés (telaprevir) et d’anémie (boceprevir) sont augmentés en cas de trithérapie.
  • L’impact de l’émergence de souches résistantes aux antiprotéases reste à évaluer notamment en cas de retraitement des « vrais » non-répondeurs.
  • Ces molécules seront probablement commercialisées courant 2011.