La cicatrisation muqueuse endoscopique est-elle un nouvel objectif thérapeutique dans les MICI ?

Objectifs pédagogiques

  • Savoir dans quelles circonstances lacicatrisation muqueuse doit êtreconsidérée comme le nouvel objectifthérapeutique

Introduction

L’histoire naturelle des maladiesinflammatoires chroniques intestinales(MICI) est marquée par l’apparition decomplications telles que sténoses, fistuleset cancers digestifs, nécessitantgénéralement de recourir à la chirurgie.Ainsi, le risque de résection intestinaleau cours de la maladie de Crohn(MC) est estimé à près de 70 % et celuide colectomie au cours de la rectocolitehémorragique (RCH) avoisine les30 % [1]. Ce constat d’échec peut êtredû soit à l’utilisation de traitementsinsuffisants, soit à un usage inappropriéde traitements potentiellementefficaces, mais prescrits trop tardivement.Ainsi, la stratégie classiqued’escalade thérapeutique progressive,reposant sur une réponse graduée destraitements selon l’intensité des symptômeset le profil évolutif de la maladie,a montré son inefficacité à contrôlerla maladie et à éviter les complications[2]. Récemment, certains médicamentsont démontré leur capacité àinduire une cicatrisation muqueuseendoscopique (CME), elle-même susceptibled’améliorer le pronostic desMICI. L’idée de considérer la CMEcomme un nouvel objectif thérapeutiqueau cours des MICI dans le butd’en améliorer le pronostic revêtaujourd’hui une place majeure.

La cicatrisation muqueuse endoscopiquen’est pas intégrée dans les scoresd’activité des MICI et n’est toujourspas définie de façon consensuelle.

La principale difficulté réside dans lefait qu’il n’existe pas, à l’heureactuelle, de définition consensuelle dela CME. Ceci provient du fait que lesdifférents scores endoscopiques utilisésdans les MICI, bien que nombreux,sont surtout des scores d’activité,cotant la sévérité des lésions observées,et peu adaptés à évaluer,a contrario, la disparition des lésionset la cicatrisation muqueuse. Leslésions endoscopiques muqueuses ont,dans les MICI, une valeur pronostique.Elles constituent l’étape initiale de lasurvenue de complications puisquec’est à partir d’elles que se développentles lésions plus sévères, ulcérationscreusantes pour la maladie de Crohn(MC) et la rectocolite hémorragique(RCH), et sténoses, fistules puis abcèspour la MC. Ainsi, il a été montréqu’au cours de la maladie de Crohn,la présence de lésions endoscopiquessévères était un facteur de risquechirurgical [3]. La meilleure preuve ducaractère pronostique des lésionsendoscopiques est probablementapportée par l’utilisation du score derécidive postopératoire établi parRutgeerts [4]. Ce score comportequatre grades en fonction de la sévéritéet de l’étendue des lésions del’iléon sus-anastomotique, à distanced’une résection iléo-colique. Le travailoriginal avait montré que ce scoreétait le meilleur facteur prédictif derécidive clinique après résection iléocolique.Le score de Rutgeerts estactuellement utilisé dans tous lesessais thérapeutiques de maintien dela rémission après résection chirurgicalede la MC. En dehors de la situationde la récidive postopératoire, leCDEIS (Crohn’s disease endoscopicindex of severity) établi par le GETAIDest le score validé le plus largementutilisé [5]. Il repose sur l’évaluation dela présence de neuf lésions élémentaires(ulcérations cicatrisées, ulcérationsaphtoïdes, superficielles oucreusantes, pseudo-polypes, érythème,oedème et sténoses ulcérées et nonulcérées), sur cinq segments (iléon,côlon droit, côlon transverse, côlongauche, sigmoïde et rectum), en indiquantle pourcentage de surface léséeet ulcérée de chacun des segments. Untravail ultérieur du GETAID a tentéd’établir des seuils du CDEIS pourdéfinir la rémission endoscopique etla réponse à une corticothérapie, en lecomparant à une évaluation globalequalitative. La rémission pouvait êtredéfinie par un CDEIS inférieur à 6 ou7 avec une sensibilité de 86 %ou 92 %(n = 155) et une spécificité de 88 %ou82 % (n = 72) respectivement [6]. Laréponse au traitement consistait enune baisse du CDEIS = 4-5 points avecune sensibilité de 78 ou 70 % (n = 107)et une spécificité de 68 ou 84 %(n = 38) respectivement [6].

Un nouveau score endoscopique utilisé dans la maladie de Crohn a été proposé par Daperno et al. en 2004 [7]. Ce score comporte quatre paramètres : taille des ulcérations, surface ulcérée, surface lésée et présence d’une sténose. Chaque paramètre est coté de 0 à 3 pour chacun des cinq segments digestifs. Il s’agit officiellement d’une version simplifiée du CDEIS, appelée SES-CD pour Simplified Endoscopic Score for Crohn’s disease, mais qui en pratique n’a pas été validée et ne semble pas plus simple à l’usage. De plus, ce score est incapable de mettre en évidence une diminution des lésions car il ne comporte pas d’échelle visuelle analogique mais un score fonction de la taille des ulcérations. Aussi, peut-on observer des variations importantes de la taille des ulcérations sans retentissement sur le score ! À la différence du CDEIS, le SES-CD n’est donc pas adapté à l’évaluation de la CME, sauf pour les situations extrêmes, relativement rares, où toutes les lésions ont régressée.

Plusieurs scores d’activité endoscopique de laRCH ont également été développés. Le score de Baron [8], le plus ancien, a l’avantage de la simplicité, et repose sur la présence ou non de saignement muqueux. Il n’est quasiment plus utilisé en tant que tel, mais fait partie du score composite de l’UC-DAI [9], récemment utilisé dans les études ACT1 et ACT2 ayant évalué l’efficacité de l’infliximab dans la RCH en poussée [10].

L’UC-DAI (Ulcerative colitis-Disease Activity Index) ou « score Mayo » est un indice d’activité clinico-endoscopique proposé dans la RCH. La RCH est dite active lorsque le score Mayo est entre 6 et 12, les scores les plus élevés traduisant les formes les plus sévères. Les lésions sont dites modérées à sévères lorsque le sous-score Mayo endoscopique est = 2. Dans les études ACT1 et ACT2 [10], la réponse clinique à l’infliximab était définie par une diminution du score Mayo = 3 points et = 30 % par rapport au basal, avec une diminution concomitante du sous-score de saignement rectal = 1 point, ou un sous-score absolu = 1. La rémission clinique était définie par un score Mayo = 2, sans aucun item > 1 point. La cicatrisation muqueuse endoscopique était définie par un sous-score endoscopique = 1.

L’indice d’activité endoscopique de Rachmilewitz [11] comporte quatre items et peut évoluer de 0 à 12 . Cet indice, complet et précis, est largement utilisé dans les essais thérapeutiques. Il comporte les principaux items à relever lors d’une endoscopie pour RCH, mais ne fait cependant pas la distinction entre ulcérations superficielles et creusantes et semble surtout adapté aux poussées d’intensité minime à modérées. Le score d’activité clinico-endoscopique de Powell-Tuck est adapté aux poussées d’intensité minime ou modérée. Il est peu utilisé et la classification endoscopique est sommaire (muqueuse fragile ou saignement spontané) [12].

Ainsi, les différentes études utilisant ces scores d’activité ne permettent pas de caractériser une CME. Les premiers travaux belges la définissaient par l’absence de toute ulcération, sur l’ensemble des segments coliques et iléaux examinés, chez un patient ayant au préalable au moins un segment colique ou iléal siège d’ulcération( s) [13]. Dans ce cas, la présence de lésions moins sévères, comme la fragilité muqueuse, l’aspect granité, l’érythème, n’était pas incompatible avec le statut de « cicatrisation muqueuse endoscopique ». À l’exception de quelques études, la corrélation entre les lésions endoscopiques et histologiques (infiltrat inflammatoire) n’est pas précisée [14].

Capacité des traitements des MICI à induire une CME (Tableau 1)

Dérivés salicylés

Les différents traitements disponibles ne sont pas toujours d’efficacité comparable dans les MICI. Ainsi, contrairement à la MC, au cours de la RCH, les dérivés salicylés (5-ASA) en traitement topique ou général, permettent habituellement une amélioration endoscopique, voire une cicatrisation histologique. Dans deux essais contrôlés randomisés en double aveugle versus placebo incluant 517 patients [15], une nouvelle forme de dérivé salicylé, la mésalazine MMX, était associée à une CME dans 32 % des cas à 8 semaines (doses : 2,4 et 4,8 g/jour) versus 16 % dans les groupes placebo.

Anti-TNFa

Les anti-TNFa ont démontré leur efficacité à obtenir une CME dans la MC et la RCH avec un niveau de preuve élevé. Dans la MC, les anti-TNFa ont été les premiers traitements à permettre une CME spectaculairement rapide. Ainsi, un essai contrôlé randomisé publié en 1999, avait évalué chez 30 patients atteints de MC réfractaire, l’effet à court terme d’une seule perfusion d’infliximab (IFX) ou de placebo [14]. À 4 semaines, 95 % des ulcérations recto-sigmoïdiennes et plus de 75 %des ulcérations de l’iléon, du côlon droit et du transverse, avaient disparu dans le groupe infliximab.

Plus récemment, l’analyse d’un sousgroupe de patients [16] inclus dans l’essai ACCENT1 [17], suivis par endoscopie à l’inclusion puis à 10 et 54 semaines, a été publiée. Pour mémoire, dans l’étude ACCENT1 évaluant l’efficacité de l’IFX en entretien, les patients répondeurs après une première perfusion étaient randomisés en trois bras : placebo, IFX toutes 8 semaines à 5 mg/kg ou 10 mg/ kg [17]. À 54 semaines, le taux de CME complète était significativement plus élevé chez les malades traités en entretien toutes les 8 semaines par rapport aux malades traités de façon épisodique (50 % versus 7 %, p = 0,007) [16]. L’essai SONIC a confirmé ces résultats sur l’effet « cicatrisant » de l’IFX. 508 patients atteints de maladie de Crohn active (CDAI entre 220 et 450), naïfs d’antiTNF et d’IS ont été randomisés en trois bras : azathioprine (AZA) 2,5 mg/kg/ jour + perfusions placebo (n = 170), infliximab (IFX) 5 mg/kg en induction puis/8 semaines + placebo oral (n = 169) et infliximab + azathioprine (n = 169) [18]. La cicatrisation muqueuse endoscopique à 6 mois, définie par l’absence d’ulcération en endoscopie, était observée chez 44 % des patients avec l’association IFX + AZA, 30 %avec IFX seul et 17 %avec l’AZA seul [18] (Fig. 1).

Cette efficacité semble être partagée par les anti-TNFa de dernière génération. Dans l’essai EXTEND, 129 patients ont été randomisés pour recevoir un traitement continu par adalimumab ou un placebo après un traitement d’induction par adalimumab [19]. Le critère principal de jugement était l’absence de lésions muqueuses à la semaine 12. Dans le groupe traité, 28 %et 24 %des patients étaient cicatrisés aux semaines 12 et 52, contre respectivement 13 % (p = 0,046) et 0 % (p < 0,001) dans le groupe placebo.

Il a été également montré que le certolizumab-pegol permettait d’obtenir, à 10 semaines, une diminution de 44 % du CDEIS (étude MUSIC) [20], mais il s’agissait d’une étude ouverte, donc non exempte de critiques.

L’efficacité de l’IFX dans la RCH est également démontrée, notamment par les essais ACT1 et ACT2 avec des taux de cicatrisation endoscopique (définie par un score de Mayo endoscopique = 1) de 60 % à 8 semaines, 50 % à 30 semaines et 46 %à 54 semaines [10].

Immunosuppresseurs

L’azathioprine (AZA) a été associée à une cicatrisation muqueuse endoscopique et histologique, iléale (40 % des patients) [13] et colique (70 % des patients) [21] de la MC. L’AZA a également démontré sa supériorité sur le budésonide pour obtenir et maintenir une CME et histologique au cours de la MC [22]. Dans un essai contrôlé, 59 % des patients traités par AZA, contre 12 % des patients sous budésonide (p = 0,001) étaient en rémission endoscopique complète à un an [22]. L’obtention d’une CME et histologique, iléale et colique, a également été rapportée avec le méthotrexate, mais il s’agissait de travaux non contrôlés [23], ou de séries de faibles effectifs [24].

Dans la RCH, les données manquent pour définir réellement l’efficacité de l’AZA et du MTX. En revanche, la ciclosporine, réservée au traitement des colites aiguës graves au cours desquelles les lésions endoscopiques observées sont sévères, permet d’obtenir, en cas de succès clinique, une amélioration rapide des lésions histologiques [25]. Le tacrolimus (FK506) a été évalué avec succès dans un essai contrôlé randomisé au cours de la RCH réfractaire : dans le groupe recevant la dose permettant d’obtenir les concentrations sériques les plus élevées (10 à 15 ng/mL), une CME était observée dans 79 % des cas [26].

Corticoïdes

Contrairement à leur grande efficacité pour contrôler les signes d’activité clinique des MICI, les corticoïdes, quelle que soit leur forme, n’ont pas été montré comme des traitements permettant d’obtenir la CME au cours de la MC. Ainsi, même utilisés à forte dose et de façon prolongée au cours de la MC, ils n’induisent une amélioration endoscopique que chez 30 %seulement des patients en rémission clinique [5]. On peut supposer que l’absence de cicatrisation muqueuse sous corticoïdes peut être en partie liée à l’effet antiprolifératif de ces traitements, freinant de ce fait la régénération tissulaire. En revanche, au cours de la RCH, il semble exister un effet des corticoïdes pour induire une cicatrisation des lésions, mais sans toutefois permettre le maintien de la rémission.

Valeur pronostique de la CME

Des études récentes ont évalué l’impact de la CME sur le cours évolutif des MICI.

Réduction des hospitalisations et du risque de chirurgie

Une étude norvégienne portant sur le suivi d’une cohorte de 513 RCH durant 5 ans, avant l’ère des anti-TNFa, a montré que la cicatrisation endoscopique obtenue 1 an après le diagnostic initial était associée à un diminution significative du risque de colectomie à 5 ans (RR : 0,22, IC95% : 0,06-0,79) [27]. Pour la cohorte de 227 patients atteints de MC, la cicatrisation endoscopique à 1 an du diagnostic initial était également associée à une réduction du recours à la chirurgie à 5 ans, mais sans atteindre la significativité [27]. C’est avec l’IFX que l’intérêt de la CME sur le cours évolutif des MICI a été le plus étudié. Dans les analyses secondaires de l’essai ACCENT1, il a été montré que le traitement d’entretien régulier (qui permettait d’obtenir le meilleur taux de cicatrisation endoscopique complète) était associé à une réduction significative des hospitalisations ultérieures (p = 0,047) et du recours à la chirurgie, en comparaison avec l’utilisation de l’IFX à la demande [16]. Les patients pour lesquels une cicatrisation complète endoscopique était observée au cours du suivi de l’essai ACCENT1 étaient moins souvent hospitalisés que les patients non cicatrisés (18,8 % versus 28 %, p = NS) [16]. Plus récemment, l’expérience d’un centre de référence belge sur l’utilisation à long terme de l’IFX dans une cohorte rétrospective de plus de 600 patients a été rapportée. Parmi les 214 patients chez lesquels un suivi endoscopique était disponible avant et pendant le traitement, 77 % des patients en traitement régulier et 61 % des patients en traitement discontinu par IFX avaient une CME prolongée. Cette étude confirmait parfaitement les données d’ACCENT 1, avec une meilleure efficacité des traitements continus, et une réduction du risque de chirurgie à long terme chez les patients cicatrisés (14 % contre 38 % avec un suivi médian de 22 mois) [28].

Réduction du risque de rechutes

Une preuve supplémentaire du bénéfice de l’obtention d’une CME comme objectif thérapeutique dans la MC est fournie par l’analyse prospective à long terme de l’essai « step-up – topdown » [29]. Dans ce travail, 73 % des patients traités dans le bras « topdown » (IFX et immunosuppresseurs combinés d’emblée, puis arrêt de l’IFX après induction), versus seulement 30 % des patients du bras « step-up » atteignaient une cicatrisation endoscopique à l’issue des 2 ans [29] de l’étude. Cette rémission endoscopique était définie par un score endoscopique SES (simplified endoscopic score) de 0. L’extension du suivi a montré que 62 % des patients cicatrisés à 2 ans (score SES à 0) restaient en rémission à 4 ans sans corticoïdes et sans anti-TNF versus seulement 18 % des patients qui avaient gardé des lésions endoscopiques à 2 ans (SES entre 1 et 9), p = 0,03 [30] (Fig. 2).

Dans la RCH, une analyse rétrospective des données des essais ACT1 et 2 (évaluant l’IFX dans la RCH) a montré que les patients ayant un score endoscopique bas à 8 semaines (MAYO = 1), avaient un risque inférieur de rechute à la semaine 30, par rapport aux patients ayant des scores endoscopiques plus élevés [10]. Des données issues d’un essai ayant inclus 78 patients avec RCH active sont également disponibles. Après 6 semaines de traitement local et oral de 5ASA, les patients ont reçu 12 mois de traitement oral en entretien. Dans ce travail, les patients en rémission clinique et endoscopique à 6 semaines avaient un risque de rechute clinique à 1 an de 23 % versus 80 % pour les patients en rémission clinique mais gardant des signes endoscopiques d’activité (p < 0,0001) [31].

Qualité de vie

Dans la RCH, au cours de laquelle l’activité endoscopique est plus simple à évaluer, car une rectosigmoïdoscopie suffit généralement, de nombreuses données établissent une bonne corrélation entre scores de qualité de vie et activité endoscopique, indépendamment du traitement utilisé [32].

Sélection des patients pour arrêt thérapeutique

Dans l’étude STORI du GETAID, évaluant le devenir des patients atteints de MC ayant interrompu un traitement par IFX, la présence de signes d’activité endoscopique même minimes, définis par un CDEIS = 2 au moment de l’arrêt de l’IFX, était un facteur indépendant de rechute [33]. Ainsi, lorsqu’on envisage une réduction thérapeutique, ou l’arrêt de tout traitement, la vérification préalable que les patients sont en « rémission profonde » (incluant la CME) devrait être une condition sine qua non.

Réduction théorique du risque de cancer

Des travaux récents suggèrent que l’inflammation muqueuse résiduelle histologique au cours de la RCH est associée à un risque accru de développer un cancer colique à plus long terme. En effet, dans une étude cas (n = 68)/témoins (n = 136), l’analyse multivariée montrait une corrélation significative entre inflammation endoscopique ([OR = 2,54] IC 1,45- 4,44), inflammation histologique ([OR = 5,13] IC 2,36-11,14) et risque de cancer colorectal [34]. Ces données, ajoutées aux risques accrus de cancer corrélés à la durée et l’étendue de la colite [35] ainsi qu’au caractère protecteur des dérivés salicylés [36], suggèrent que la CME pourrait être un objectif visant à réduire le risque de cancer au cours des MICI.

Bénéfices/risques de la recherche d’obtention d’une cicatrisation muqueuse endoscopique (Tableau 2)

Malgré le bénéfice actuellement démontré de la CME au cours des MICI, son rôle en tant qu’objectif thérapeutique en soi fait actuellement l’objet de controverses. Aujourd’hui, mêmes les traitements les plus puissants permettant d’obtenir une cicatrisation endoscopique rapide, comme la ciclosporine et les anti-TNFa, ne sont que suspensifs. Ainsi, est-il fréquent de voir réapparaître les lésions inflammatoires, au même endroit, après l’arrêt de ces traitements [17]. Utilisés comme ils le sont actuellement, c’est-à-dire tardivement, en cas de maladie corticodépendante et souvent résistante aux immunosuppresseurs, les anti-TNFa n’ont pas permis de modifier le cours évolutif des MICI. Les résultats à long terme de l’étude « step-up/top-down » plaident pour une utilisation plus précoce de ces traitements, mais d’autres études de stratégies sont nécessaires pour entériner cette pratique.

Le rôle émergent de l’obtention d’une CME est également souligné par le fait que la CME est actuellement un des objectifs principaux des essais en cours testant les nouvelles biothérapies des MICI (MLN002, certolizumab, anti-intégrines). Cependant, l’intérêt d’une utilisation précoce d’anti-TNFa, associés ou non aux immunosuppresseurs, est à mettre en balance avec les risques infectieux et peut-être néoplasiques associés à ces traitements.

Vers une CME non endoscopique…

L’intérêt de l’obtention d’une cicatrisation muqueuse semble majeur et sa vérification utile pour le suivi des patients. Cependant, en pratique clinique, les limites résident dans les caractères invasifs et coûteux des examens endoscopiques requis pour contrôler l’obtention de la CME. Il faut donc privilégier le développement de moyens d’évaluation non endoscopique de l’activité de la maladie. Ces derniers seront probablement intégrés au sein de scores composites, qui pourront allier des marqueurs biologiques inflammatoires sériques (CRP) [37] et/ou fécaux (lactoferrine, calprotectine) [38] et des examens morphologiques endoscopiques (vidéocapsule intestinale ou colique) et/ou radiologiques (entéro-IRM, colo-IRM, échographie). Parmi ces derniers, la colo-IRM a fait récemment l’objet d’une comparaison avec la coloscopie au cours de la MC. L’IRM permettait une bonne discrimination des lésions muqueuses, entre oedème et ulcérations, et le score de lésions radiologiques était bien corrélé avec le CDEIS [39]. L’entéro-IRM a fait l’objet d’une comparaison avec les lésions histologiques présentes sur des pièces opératoires iléo-coliques de MC, avec une excellente détection et classification des lésions inflammatoires [40]. Ces résultats suggèrent que l’IRM pourrait permettre une évaluation non invasive de l’activité des MICI, mais rien n’est actuellement connu sur l’intérêt de cet examen à évaluer l’obtention d’une CME.

Conclusion

L’obtention d’une CME devrait être un objectif majeur dans la prise en charge des MICI, car elle est associée à une évolutivité meilleure à court et moyen terme, et pourrait permettre, a contrario, de sélectionner les patients chez qui une réduction thérapeutique est envisageable. Cependant, la question pratique de savoir s’il faut intensifier le traitement chez un patient asymptomatique, mais avec persistance de lésions endoscopiques, n’est pas encore résolue, notamment du fait de l’augmentation probable du risque infectieux par la majoration des traitements. D’autres interrogations persistent, à savoir comment obtenir une cicatrisation prolongée, puisque les traitements actuels, tels qu’ils sont utilisés, ne sont que suspensifs ? L’utilisation précoce de biothérapies dans l’histoire des MICI permettra-telle une cicatrisation prolongée et une modification du cours évolutif de ces pathologies ? Par ailleurs, un enjeu pratique important est de s’accorder sur une définition simple et consensuelle de la CME, d’harmoniser et simplifier les scores endoscopiques actuels afin qu’ils soient facilement utilisables par tous. Enfin, l’avenir est probablement au développement de marqueurs non invasifs d’activité ou de cicatrisation muqueuse tels que les marqueurs fécaux (calprotectine, lactoferrine) ou les examens radiologiques, au mieux combinés dans des indices composites. En 2010, on peut considérer que la CME est l’objectif thérapeutique « ultime » au cours de la RCH, et l’objectif thérapeutique « minimal » au cours de la MC !

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Les 5 points forts

  • La définition de la cicatrisation muqueuse endoscopique, non consensuelle, repose sur la diminution des scores endoscopiques d’activité ou la simple disparition des ulcérations.
  • Dans la RCH, la cicatrisation muqueuse endoscopique peut être obtenue par les dérivés 5-aminosalicylés, les corticoïdes, les analogues des purines, la ciclosporine et les anti-TNFa.
  • Dans la maladie de Crohn, actuellement la cicatrisation muqueuse endoscopique peut être obtenue par les analogues des purines, le méthotrexate et les anti-TNFa.
  • La cicatrisation muqueuse endoscopique est associée à une diminution des taux d’hospitalisation et de chirurgie.
  • Les nouvelles approches diagnostiques de la cicatrisation muqueuse (marqueurs biologiques, imagerie) devraient permettre une diminution du recours à l’endoscopie.