Apport de l’oncogénétique en cancérologie digestive

Objectifs pédagogiques

  • Quels patients doivent faire l’objetd’une prise en charge oncogénétique?
  • Quelles sont les modalités de cetteprise en charge ?
  • Quelle articulation avec le suivigastro-entérologique ?

Introduction

Les formes héréditaires de cancers (ousyndromes de prédisposition héréditaireaux cancers) sont des affectionsrares mais associées à un risque tumoraltrès élevé chez les individusatteints. Sur le plan moléculaire, ellessont généralement liées à une mutationconstitutionnelle (c’est-à-direprésente dans toutes les cellules del’organisme) inactivatrice et le plussouvent héritée d’un gène suppresseurde tumeur. L’augmentation du risquetumoral intéresse les organes vis-à-visdesquels ce gène exerce physiologiquementun effet de protection. Lamutation est transmissible à la descendance,sur un mode autosomiquedominant dans la grande majoritédes cas.

L’identification de ces affections estessentielle puisqu’elle conduit à proposerdes mesures de dépistage et deprise en charge spécifiques dont l’efficacitéest actuellement bien démontrée,tant en ce qui concerne l’incidencedes cancers que la mortalité parcancer. C’est l’objectif de l’oncogénétiqueclinique et moléculaire, disciplinerelativement récente, « née » à lasuite de l’identification des principauxgènes en cause, dans le courant desannées 1990.

L’objectif de ce travail n’est pas dedécrire précisément les différentssyndromes de prédisposition héréditaireaux cancers digestifs et lesmodalités de prise en charge des individusmais i) de les rappeler avantd’indiquer les patients suspects d’enêtre atteints et donc « candidats » àune prise en charge oncogénétique,ii) de préciser les modalités de cetteprise en charge, et iii) d’indiquerl’articulation avec le suivi gastroentérologique.

Quels patients doivent fairel’objet d’une prise en chargeoncogénétique ?

La consultation de génétique oncologiquea comme objectif initial deconfirmer l’existence d’une prédispositiongénétique majeure au sein d’unefamille à partir de l’étude d’un individuatteint (cas index). Cette confirmationest obtenue au mieux parl’identification de la mutation causale.Dans une telle situation, un test génétiquepeut être proposé dans un secondtemps aux apparentés indemnes afinde déterminer s’ils ont ou non héritéde la mutation familiale.

Les différents syndromesde prédisposition héréditaire

Les différents syndromes de prédispositionhéréditaire aux cancers digestifsconnus sont listés dans le tableau 1.

La suspicion de forme héréditaire decancers colorectaux correspond auprincipal motif de consultationd’oncogénétique digestive. Plusieursentités doivent être envisagées : lesformes non polyposiques et les formespolyposiques, adénomateuses ouhamartomateuses. Plusieurs pointsdoivent être soulignés.

  • La définition du syndrome de Lynchest maintenant basée sur l’identificationde la mutation constitutionnellecausale ou, à défaut, sur lacaractérisation d’un phénotypetumoral témoignant d’une altérationdu système de réparation desmésappariements de l’ADN, appeléMMR (abréviation pour MismatchRepair). Certaines agrégations familialesde cancers colorectaux sanspolypose, avec ou sans validationdes critères cliniques d’Amsterdam,ne sont pas associées à une altérationde ce système et ne correspondentpas à un syndrome de Lynch.On parle parfois de « syndromeX »,ensemble vraisemblablement hétérogèned’affections pour lesquellesles altérations génétiques causalesne sont pas connues [1].
  • La coexistence d’un cancer et dequelques polypes adénomateux,synchrones et/ou métachrones pose le problème du diagnostic différentielentre une forme héréditaire nonpolyposique et une forme atténuéede polypose adénomateuse.
  • La maladie de Cowden fait partie dugroupe des polyposes hamartomateuses,au même titre que la polyposejuvénile et que le syndrome dePeutz-Jeghers. Elle est principalementassociée à une augmentationdu risque de cancers de la thyroïdeet du sein. L’augmentation du risquerelatif de cancer colorectal estmodérée et même incertaine, detelle sorte qu’elle n’est pas toujoursclassée dans le cadre des formeshéréditaires des cancers colorectaux.

Les polyposes hyperplasiques sontcaractérisées par la présence de multiplespolypes hyperplasiques colorectaux,dont certains peuvent être atypiquesdu fait d’une grande taille et/ou d’une localisation colique proximale[2]. Elles sont associées à unrisque accru de cancer colorectal maisles données actuelles ne permettentpas de chiffrer précisément ce risque.L’analyse histologique minutieuse despolypes révèle généralement que certainsd’entre eux, en particulier lespolypes sessiles de grande taille du côlon droit, présentent des lésions dedysplasie épithéliale minimes et correspondentplus vraisemblablement àdes adénomes festonnés. D’autrestypes histologiques peuvent égalementêtre associés tels que d’authentiquespolypes hyperplasiques, des polypescomposites et des polypes adénomateux« classiques ». Il s’agit d’affectionsmanifestement hétérogènes deprésentation sporadique ou plus rarementfamiliale avec, dans ces cas,une mode d’agrégation évocateur soitd’une transmission autosomiquedominante, soit d’une transmissionautosomique récessive. Les altérationsgénétiques constitutionnelles responsablesdes formes familiales non sontpas connues, alors que des altérationssomatiques récurrentes ont été décrites(mutation de B-Raf et métylation desîlots CpG de l’ADN ou phénotype« CIMP-high » = CpG IslandMethylatorPhenotype).

La suspicion d’autres formes héréditairesde cancers digestifs est un motifplus rare de consultation. Il s’agitprincipalement des agrégations familialesde cancers gastriques ou de cancerspancréatiques. Elles peuvent s’intégrerdans le cadre de syndromes deprédisposition héréditaires connus (ycompris dans les différents syndromesde prédisposition aux cancers colorectaux: syndrome de Lynch, polyposeadénomateuse associée à APC, syndromede Peutz-Jeghers et polyposejuvénile – pour les cancers gastriques)qui doivent être systématiquementévoqués. À côté de ces formes dites« syndromiques », les formes non syndromiquescorrespondent à des observationsanciennes dont la pathogéniereste largement méconnue, en dehorsde certaines formes héréditaires decancers gastriques de type diffus liéesà une mutation constitutionnelle dugène CDH1 qui code pour la protéineE-cadhérine [3]. Différents travaux derecherche tentent d’identifier les gènesen cause. Ils ont conduit à incriminerrécemment des altérations des gènespalladin et PALB2 dans certaines agrégationsfamiliales de cancers pancréatiques[4, 5]. Il est vraisemblable quecertaines de ces agrégations ne correspondentpas à des affections mendéliennes,liées à l’altération d’un gènemajeur de susceptibilité, mais qu’ellesrésultent de la conjonction et del’interaction de facteurs d’environnementdéfavorables et d’un « fondgénétique » de prédisposition (« sommation» de facteurs génétiques« mineurs » de prédisposition).

Des agrégations familiales de tumeursendocrines duodéno-pancréatiquess’observent au cours des néoplasiesendocriniennes multiples de type I etde la neurofibromatose de type 1.L’affection est généralement connueau moment du diagnostic tumoralcompte tenu de la préexistence habituellede l’hyperparathyroïdie pour lapremière, d’un phénotype caractéristiquedès l’enfance pour la seconde(tâches café au lait ; neurofibromes ;éphélides axillaires ; hamartomes rétiniensou nodules de Lisch ; gliome duchiasma optique). Des formes familiales,syndromiques (neurofibromatosede type 1 ; formes héréditaires deparagangliomes) ou non, de tumeursstromales gastro-intestinales ont étéexceptionnellement décrites.

Un numéro spécial récemment publiéde la revue Best Practice & ResearchClinical Gastroenterology consacré àl’oncogénétique digestive comported’excellentes revues sur les différentesformes héréditaires des cancersdigestifs [6].

Les indications de la consultationde génétique oncologique

Une consultation de génétique oncologiqueest indiquée pour tout individuatteint d’un cancer et/ou depolypes dont l’histoire personnelle(phénotype caractéristique) et/oufamiliale est évocatrice d’une prédispositionhéréditaire.

Cas particulierdes polyposes colorectales

Les polyposes colorectales constituentune situation particulière dans lamesure où le diagnostic est établi surla base des seules données endoscopiques.On peut considérer qu’ellessont toujours le reflet d’une prédispositiongénétique et qu’elles constituentune indication de consultation degénétique oncologique (à l’exceptiondes polyposes lymphomateuses et deslipomatoses). Le diagnostic de naturede la polypose est basé à la fois sur letype histologique des polypes (adénome; polype juvénile ; polype dePeutz-Jeghers ; polype hyperplasique ;ganglioneurome) et sur l’existenceéventuelles de manifestations phénotypiquesassociées :

  • anomalies dentaires, ostéomes mandibulairesou de la voûte crânienne,kystes épidermoïdes et lipomes ;tumeurs desmoïdes ; lésions d’hypertrophiede l’épithémium pigmentairede la rétine pour la polyposeadénomateuse associée à APC ;
  • lentiginose péri-orificielle pour lesyndrome de Peutz-Jeghers ;
  • macrocéphalie ; trichilemnomes ;lésions hyperkératosiques de lamuqueuse gingivale, jugale oulinguale ; porokératose palmoplantaire,goitre pour la maladie deCowden.

En ce qui concerne les polyposes adénomateuses,l’existence d’une agrégationfamiliale caractérisée par uneatteinte de plusieurs générations successivesest évocatrice d’une transmissionautosomique dominante etdonc d’une polypose associée à APC ;l’agrégation des cas au sein d’unemême fratrie sans atteinte des générationsprécédente et suivante évoqueau contraire vers une transmissionautosomique récessive et orientedonc vers une polypose associée àMYH.

Autres syndromesde prédisposition héréditaireaux cancers digestifs

L’identification des autres syndromesde prédisposition héréditaire est plusdifficile puisque le phénotype n’estpas caractéristique. Les arguments deprésomption sont les suivants :

  • âge inhabituellement jeune au diagnosticdu cancer ;
  • atteintes multiples, synchrones oumétachrones, chez un individu ;
  • agrégation familiale de cancers d’unmême type ou d’un autre type maispossiblement « génétiquementliés ».

Ces arguments doivent être systématiquementrecherchés chez tout individuatteint de cancer. Ils sont à labase de la définition des critères cliniquesd’Amsterdam établis initialementpour définir les formes héréditairesnon polyposiques des cancerscolorectaux (syndrome HNPCC,Hereditary Non Polyposis ColorectalCancer) [7, 8] ainsi que des critères deCambridge qui définissent les formeshéréditaires des cancers gastriques [9](Tableau 2).

Précisions concernantle syndrome de Lynch

L’identification des gènes responsablesdu syndrome de Lynch dont la définitionest maintenant, comme nousl’avons indiqué plus haut, moléculairea permis de souligner les insuffisancesdes critères d’Amsterdam qui manquentà la fois de spécificité et de sensibilité.Ceci signifie d’une part que lavalidation de ces critères ne signe pasl’existence d’un syndrome de Lynch ;d’autre part qu’ils ne sont pas validésdans une proportion significative defamilles atteintes. Ces données ontconduit à revoir la stratégie diagnostiquede ce syndrome. La faillite dusystème MMR étant l’élément responsablede la carcinogenèse dans cecontexte, l’identification d’un phénotypetumoral témoignant de cettefaillite (instabilité des microsatelliteset/ou défaut d’expression d’une ou deplusieurs protéines de réparation desmésappariements de l’ADN) est uneétape clé dans la stratégie diagnostique.En effet, si l’existence d’un telphénotype n’est pas spécifique du syndromede Lynch, son absence permetraisonnablement d’exclure ce diagnostic.En pratique, il est recommandépour ne pas méconnaitre le diagnosticde syndrome de Lynch, de procéder àcette étude somatique pour toutetumeur du spectre du syndrome deLynch (côlon rectum ; endomètre ;ovaire ; intestin grêle ; bassinet eturetère ; estomac et voies biliaires)diagnostiquée à un âge inférieur à60 ans ou quels que soient les âges audiagnostic en cas d’atteintes multipleschez un même individu ou chez deuxapparentés au premier degré [10]. Laprescription de l’étude somatique n’estpas réservée au médecin oncogénéticien.Elle peut être prescrite par legastroentérologue ou par tout autremédecin, son résultat conditionnantl’indication de la consultation degénétique oncologique et de larecherche de mutation germinale desgènes MMR.

En pratique, cette analyse est réaliséeà partir d’un fragment tumoral fixé etinclus en paraffine. L’étude de l’expressiondes protéines est du ressort del’anatomopathologiste qui identifie etadresse au biologiste dans un secondtemps le matériel ad hoc pour l’étudedu statut des microsatellites. Sa réalisationest généralement réalisée ausein des plateformes hospitalières degénétique moléculaire des cancersdotées par l’INCa. Les résultats del’analyse somatique sont généralementdisponibles en quelques semaines.

Le syndrome de Muir-Torre correspondà une variété phénotypique du syndrome de Lynch, le plus souventassociée à une mutation du gèneMSH2, caractérisée par la présence delésions cutanées développées auxdépens des glandes sébacées (adénomessébacés, sébacéomes et carcinomessébacés) [11]. Ces lésions seprésentent sous la forme de papulesou de nodules fermes, de couleur chairou jaunâtre, parfois érodés. Les carcinomessébacés se développent préférentiellementaux dépens des glandessébacées des paupières (ou glandesde Meibomius) et peuvent pris à tortpour un chalazion ou une blépharoconjonctivitechronique. La présencede telles lésions cutanées dans uncontexte d’agrégation de cancerscolorectaux ou du spectre du syndromede Lynch est très évocatrice dece diagnostic. Des kérato-acanthomeset des carcinomes basocellulairesà différenciation sébacée sont égalementpossibles.

Apparentés (indemnes) d’individusatteints chez lesquelsune mutation a été identifiée

Une consultation de génétique oncologiquedoit par ailleurs être proposéeà l’ensemble des apparentés des individuschez lesquels une mutation a étéidentifiée, quel que soit le type de prédispositiongénétique familiale. C’estaux individus chez lesquels la mutationa été identifiée (cas index) qu’ilrevient d’informer leurs apparentés del’existence d’une prédisposition génétiqueau cancer caractérisée dans lafamille et de la possibilité de mise enplace d’un test moléculaire ciblé. Ladétermination de leur statut génétiquepermettra de dire s’ils ont hérité ounon de cette mutation, et donc s’ilsdoivent faire l’objet d’une surveillancespécifique et s’ils sont susceptibles dela transmettre à leur descendance. Lelégislateur indique que le médecin doitinformer « la personne ou son représentantlégal des risques que sonsilence ferait courir aux membres desa famille potentiellement concernésdès lors que des mesures de préventionou de soins peuvent être proposées àceux-ci ». Lorsque le cas index ne souhaitepas informer directement saparentèle, il peut choisir de le faire parl’intermédiaire de l’Agence de laBiomédecine qui informe les apparentésdont les coordonnées lui ont ététransmises de « l’existence d’uneinformation médicale à caractèrefamilial susceptible de les concerneret des modalités et des modalités leurpermettant d’y accéder ».

Dans le contexte le plus fréquent desaffections à transmission autosomiquesdominantes (liée à unemutation d’un seul des deux allèles,c’est-à-dire d’une seule des deuxcopies, du gène en cause) telles que lapolypose adénomateuse associée àAPC et le syndrome de Lynch, le risquepour les enfants est de 50 %. Il estégalement de 50 % pour les parents etles membres de la fratrie, en dehorsdu contexte des néo-mutations. Pourla polypose adénomateuse associée àMYH qui est à transmission autosomiquerécessive et implique doncune mutation des deux allèles de cegène (allèle d’origine paternelle etallèle d’origine maternelle ; on parlede mutation bi-allélique), le risqueintéresse presque exclusivement lesmembres d’une même fratrie qui ontchacun un risque de 25 % d’avoirhérité des deux mutations causales.Leurs parents et leurs enfants sonthétérozygotes obligatoires (en dehorsdes rares situations de consanguinitéentre les conjoints).

Il est important de rappeler les pointssuivants :

la démarche du test moléculaireciblé ne peut être envisagée qu’encas d’identification préalable de lamutation responsable de la prédispositiongénétique familiale chezun individu atteint ;
l’étude génétique moléculaire nepeut donc pas être initiée à partird’un individu indemne de lafamille ;
la négativité de l’étude moléculairechez le cas index ne remet pasnécessairement en cause le diagnosticde prédisposition génétiquemajeure (par exemple en cas depolypose adénomateuse, de phénotypecaractéristique de syndrome dePeutz-Jeghers ou d’agrégation decancers colorectaux sans polyposeavec instabilité des microsatelliteset défaut d’expression des protéinesMSH2 et/ou MSH6 au niveau tumoral).Cette situation peut être le faitsoit d’un défaut de sensibilité de latechnique d’analyse [méconnaissanced’une mutation délétère dansle(s) gène(s) testé(s)], soit de l’altérationd’un gène de prédispositionnon encore identifié. Dans une tellesituation, de même que lorsquel’étude moléculaire n’a pas été réaliséechez le cas index (refus del’analyse ou décès), il n’y a pasd’étude moléculaire possible chezles apparentés qui sont tous suspectsd’avoir hérédité d’un facteurgénétique de prédisposition et doiventfaire l’objet d’un dépistagesystématique.

Quelles sont les modalitésde cette prise en chargeoncogénétique ?

Les premières consultations de génétiqueoncologique datent du début desannées 1990. La discipline s’est considérablementdéveloppée et structuréedepuis cette date, notamment grâce auxappels d’offre successifs de l’InstitutNational du Cancer (INCa) et de leDirection de l’Hospitalisation et del’Organisation des Soins (DHOS). Desconsultations de génétique oncologiqueexistent maintenant dans tous les CHUet CLCC ainsi que dans différents CHGet dans quelques rares centres de santéprivés. Le dernier rapport de l’activitéd’oncogénétique publié par l’INCA faitétat de 26141 consultations réaliséesau cours de l’année 2007 sur 102 sitesrépartis dans 66 villes. La liste desconsultations est disponible sur le siteweb de la Fédération Nationale desCentres de Lutte Contre le Cancer(http:///www.fnclcc.fr). La plupart des ces consultations sont mixtes ; certainessont dédiées à un syndrome ouà des localisations tumorales particulières.Les médecins oncogénéticiensoeuvrent au sein d’une « équipe multidisciplinairerassemblant les compétencescliniques et génétiques, dotéed’un protocole type de prise en chargeet déclarée au ministre chargé de lasanté ». Il peut s’agir de spécialistesd’organes (gastroentérologues pour lesprédispositions génétiques aux cancersdigestifs ; gynécologues pour les prédispositionsgénétiques aux cancers dusein et de l’ovaire ; pédiatres pour lesprédispositions génétiques aux cancersde l’enfant) ou d’oncologues compétentsen oncogénétique ou encore demédecins spécialistes en génétiquemédicale. Ils peuvent être aidés dansleur pratique par un conseiller en génétique.Bien que l’offre de consultationse soit élargie au cours des dernièresannées, les délais de consultations restentparfois longs et certains centresproposent de donner des « avissur dossier » en vue d’une meilleuresélection des bons « candidats » à laconsultation.

La prescription des analyses génétiquesconstitutionnelles s’effectuedans un cadre réglementaire strictdéfini par les lois bioéthiques de1994 révisées en 2004 (loi 2004-800 ;http://www.legifrance.gouv.fr).

Consultations des individusatteints (cas index)

La première consultation de génétiqueoncologique chez un individu atteintvise à évaluer de la probabilité d’uneprédisposition héréditaire au cancersur la base des données de son histoirepersonnelle et familiale et à l’informerdes risques tumoraux associés au syndromesuspecté, des modalités de laprise en charge recommandées dansce contexte, des conséquences del’identification d’une mutation pourses apparentés et du risque de transmissionà sa descendance. En pratique,il convient de recueillir les données del’histoire familiale de façon aussi préciseque possible, de dresser un arbregénéalogique et de tenter de validerles diagnostics déclarés (copie descompte rendus opératoires et d’examensanatomopathologiques aprèsobtention des autorisations d’accèsaux dossiers médicaux signés des individuseux-mêmes ou d’un ayant droiten cas de décès). Lorsqu’à l’issue decette évaluation, une prédispositionhéréditaire majeure semble effectivementdevoir être évoquée, le médecinoncogénéticien propose la réalisationd’une étude moléculaire, qui n’est miseen oeuvre qu’après obtention duconsentement signé. Un prélèvementsanguin est alors réalisé à la recherched’une mutation dans le(s) gène(s)de prédisposition impliqués à partirde l’ADN extrait des lymphocytessanguins.

Il est par important d’évaluer la réalitéde la demande des personnes consultantet de leur laisser le libre choix desdécisions en évitant toute pression àcaractère médical, scientifique oufamilial. La restitution du résultat del’analyse moléculaire doit être réaliséeà l’occasion d’une nouvelle consultationdédiée. Cette consultationest également l’occasion de formulerles recommandations pour la prise encharge et le suivi et de remettreau consultants i) des documents d’informationsur la prédisposition génétiqueen cause ; ii) les coordonnéesd’éventuelles associations de malades ;iii) lorsqu’une mutation a été identifiée,un document visant à les aider àdiffuser l’information à leurs procheset à les informer de la possibilité demise en place d’un test moléculaireciblé, puisque c’est à eux qu’incombecette responsabilité. La mise en placed’une assistance psychologique estsystématiquement proposée.

Il faut souligner que si la prescriptionde l’étude génétique constitutionnellechez le cas index est généralementréalisée par un médecin oncogénéticienoeuvrant dans le cadre d’unestructure déclarée, la législation françaisene l’impose et cette prescriptionpeut éventuellement être réalisée partout autre médecin prenant en chargele patient à condition qu’elle fassel’objet d’une consultation dédiée etque le consentement éclairé et signédu patient ait été obtenu.

Consultation des apparentés –Tests moléculaires « ciblés »ou « présymptomatiques »

L’objectif de ces consultations est dedéterminer le statut génétique d’individusà risque et généralementindemnes, après qu’une mutation a étéidentifiée chez un apparenté atteint.La prescription de l’analyse génétiquedans ce contexte est nécessairementréalisée dans le cadre d’une consultationmédicale individuelle réalisée ausein d’une équipe déclarée auprès duministère.

L’étude moléculaire doit obligatoirementêtre réalisée sur deux prélèvementsindépendants (deux prélèvementssanguins ou un prélèvementsanguin et un frottis jugal par exemple)et ne peut être mise en oeuvre qu’aprèsobtention du consentement écrit etsigné du consultant ou de son représentantlégal. Un délai de réflexion etla mise en place d’une assistance psychologiquedoivent être proposésavant la réalisation du test. Pour lesmineurs, le test génétique n’est autoriséque si son résultat a un impactimmédiat en termes de prise en charge.Ainsi, les tests présymptomatiquessont-ils généralement proposés versl’âge de 10-12 dans le contexte de lapolypose adénomateuse familialeassociée à APC alors qu’ils ne sontréalisés que vers l’âge de 20-25 ansdans le contexte du syndrome deLynch. D’un point de vue technique,l’étude moléculaire se limite à larecherche de la mutation identifiéedans la famille de telle sorte que lerésultat est généralement obtenu enquelques semaines. Il est communiquédans un premier temps à la personneconcernée à l’occasion d’une nouvelleconsultation puis transmis dans unsecond temps aux médecins de sonchoix.

Quelle articulationavec le suivigastro-entérologique ?

Les patients vus en consultation degénétique oncologique digestive sonttrès majoritairement adressés par ungastro-entérologue. Plus rarement, laconsultation a été suggérée pard’autres professionnels (oncologuemédical ou radiothérapeute, chirurgien,gynécologue, médecin généraliste) ou procède d’une démarchespontanée.

Quoi qu’il en soit, l’intervention del’oncogénéticien est généralement« limitée dans le temps » puisqu’ellese résume le plus souvent, commenous l’avons vu, à un nombre restreintde consultations : consultationinitiale consultation de restitution durésultat de l’analyse moléculairelorsque l’indication a été retenue. Desconsultations supplémentaires sontparfois requises, soit en amont de laprescription de l’analyse génétique(réévaluation de l’indication aprèsvalidation des données anamnestiqueset/ou obtention des résultatsd’une étude somatique première ;délai de réflexion souhaité par le(a)patient(e), etc.) ; soit en « aval » (indicationd’un complément d’étudemoléculaire ; informations complémentairessouhaitées ; prescriptiond’une analyse confirmatoire ).

En ce qui concerne spécifiquement lessuspicions de syndrome de Lynch, onrappelle que la prescription de l’étudesomatique (recherche d’une instabilitédes microsatellites et étude immunohistochimiqueau niveau tumoral) peutêtre réalisée par le gastro-entérologueavant la consultation d’oncogénétique.Son résultat peut même remettreen cause l’indication de cette consultationlorsque le phénotype n’est pasen faveur de ce diagnostic, en particulierlorsque la présentation cliniqueest peu évocatrice.

Les recommandations pour le suiviet la prise en charge du cas indexsont formulées lors de la restitutiondu résultat, conformément auxrecommandations professionnellesexistantes (référentiels régionaux ;sociétés savantes nationales et internationales; INCA, etc.) Elles peuventéventuellement avoir été établies etvalidées à l’occasion d’une réunion deconcertation pluridisciplinaire, en particulierpour les cas complexes etlorsqu’une prédisposition génétiqueest pressentie alors qu’il n’a pas étépossible d’identifier la mutationcausale.

La surveillance est ensuite mise enoeuvre par les différents praticienscompétents, conformément auxrecommandations établies. La qualitéde la prise en charge et l’adhésion aulong cours au programme personnaliséde suivi sont des éléments essentielspour diminuer au maximum lesrisques tumoraux. Une réflexion estactuellement en cours pour tenterd’identifier les moyens susceptiblesd’optimiser la qualité de cette priseen charge : structuration en réseauxmultidisciplinaires régionaux, sur lemode des réseaux régionaux de cancérologie,incluant les différents praticiensimpliqués dans le suivi despersonnes à risque, quel que soit leurmode d’exercice ; formalisation desliens avec le réseau ; engagementdes praticiens à respecter une chartede qualité pour les examens de dépistage; développement d’un outilinformatique mutualisé permettant desaisir les résultats des examens, d’établirdes convocations et de générerdes « alertes » automatiques en l’absencede réalisation de l’examen à ladate souhaitée ; organisation d’uneactivité de recours ; mise en oeuvred’actions de formation auprès desdifférents professionnels. Cetteréflexion est encouragée par l’INCAqui a récemment soutenu financièrementquelques « expériences pilotespour la prise en charge des personnesprédisposées héréditairement au cancer» (appel à projet 2009). Un nouvelappel à projet devrait voir le jourdans deux ans en vue de favoriser lamise en place, dans d’autres régions,de schémas organisationnels ayantfait la preuve de leur efficacité.

L’oncogénétique a connu un essorimportant au cours des deux dernièresdécennies. Il n’en reste pas moins queles formes héréditaires des cancersdigestifs, et en particulier le syndromede Lynch, restent encore trop souventméconnues avec des diagnosticsparfois tardifs associés à des conséquencesfunestes. Il est donc importantd’être vigilant et d’évoquersystématiquement la possibilité d’uneforme héréditaire à partir de l’histoirepersonnelle et familiale des patients etéventuellement des caractéristiquesphénotypique de leur tumeur (instabilitédes microsatellites ?). Des effortsdoivent également être faits pour optimiserla prise en charge clinique aulong cours des individus à risque etfavoriser leur adhésion aux programmesde dépistage proposés. Enfin,il est probable que nos connaissancesvont évoluer au cours des prochainesannées et dans différents domaines(identification de facteurs génétiquesmodificateurs des risques tumoraux ;identification de nouveaux gènes responsablesde formes héréditaires nonpolyposiques des cancers colorectaux,hors syndrome de Lynch ; démembrementdes polyposes hyperplasiques,festonnées et mixtes et identificationdes altérations génétiques causales ;identification des gènes impliquésdans certaines formes familiales nonsyndromiques de cancers de l’estomacou de cancers du pancréas…) et quenous serons à même de prendre encharge de façon efficace un plus grandnombre de patients à risque.

Références

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Les 5 points forts

  • Les polyposes colorectales sont le reflet d’une prédisposition génétique et constituent une indication de consultation de génétique oncologique (sauf polypose lymphomateuse et lipomatoses).
  • Les principaux éléments d’une prédisposition génétique majeure sont : jeune âge (< 60 ans pour les cancers colorectaux) ; atteintes multiples, synchrones ou métachrones ; agrégation familiale de cancers d’un même type ou « génétiquement liés ».
  • L’étude du phénotype tumoral (recherche d’une instabilité des microsatellites et/ou étude en immunohistochimie de l’expression des protéines de réparation des mésappariements de l’ADN) constitue une étape clé dans la stratégie diagnostique du syndrome de Lynch. Elle peut être prescrite par le gastroentérologue « en amont » de la consultation de génétique oncologique.
  • L’étude génétique moléculaire dans une famille suspecte de forme héréditaire de cancer doit toujours être initiée chez un individu atteint.
  • Un test moléculaire ciblé ne peut être réalisé chez des apparentés à risque qu’en cas d’identification préalable de la mutation causale dans la famille. Sa prescription est réservée aux médecins oncogénéticiens.