Le syndrome HNPCC en 2006

Définition du syndrome

La définition du syndrome HNPCC ne peut pas être endoscopique, comme pour la polypose adénomateuse familiale, puisque les lésions néoplasiques coliques sont peu nombreuses et dispersées dans le côlon, pouvant mimer une situation relativement fréquente dans la population générale de multiples adénomes. La suspicion diagnostique doit donc se baser sur la présence d’une néoplasie colique (adénome ou cancer) en contexte familial. C’est ce contexte familial qui a fait élaborer des critères cliniques du syndrome, critères d’Amsterdam ou de Bethesda (Tableaux I et II). Les critères d’Amsterdam sont des critères très sélectifs, utiles pour réaliser des études épidémiologiques du syndrome. Les critères de Bethesda sont des critères volontairement beaucoup moins sélectifs permettant de détecter beaucoup plus de familles à risque, mais avec évidemment une perte de spécificité importante [1]. La seule véritable définition du syndrome HNPCC est l’identification d’une mutation délétère de l’un des gènes de réparation de l’ADN : la fréquence estimée du syndrome en se basant sur cette définition est de 2 à 3% des cancers colorectaux non sélectionnés.

TABLEAU I
CRITÈRES CLINIQUES

Amsterdam

Cancer colorectal (Amsterdam1) ou du spectre étroit (Amsterdam 2) chez 3 apparentés au 1°, sur 2 générations, un cas au moins avant 50 ans.

Bethesda
  • Cancer colorectal avant 50 ans.
  • 2 tumeurs du spectrelarge HNPCC synchrones ou métachrones chez un même patient quel que soit l’âge.
  • Cancer colorectal avec histologie évocatrice, diagnostiqué avant 60 ans.
  • 2 cancers du spectre large HNPCC chez 2 apparentés au 1° dont l’un à moins de 50 ans.
  • 3 cancers du spectre large chez 3 apparentés au 1° ou 2°quel que soit l’âge.

D’après Umar et col. [1]

TABLEAU II
TUMEURS DU SPECTRE HNPCC

Spectre étroit

Adénocarcinome colorectal, de l'endomètre, de l'intestin grêle, du bassinet et des voies urinaires

Spectre large

Adénocarcinome de l'estomac, des ovaires, des voies biliaires.
Glioblastomes
Adénomes et adénocarcinomes sébacés, kératocanthomes.

 

Evolution des critères diagnostiques : chez qui faut-il suspecter un syndrome HNPCC?

L’identification d’un syndrome HNPCC chez un patient développant une tumeur colorectale repose, depuis que ce syndrome est connu, sur l’interrogatoire du patient, en l’absence de signe endoscopique spécifique comme pour la polypose adénomateuse familiale. Les critères d’Amsterdam (Tableau I) sont des critères de définition du syndrome, assez spécifiques mais peu sensibles, présents chez seulement 2,8% des patients qui développent un cancer colorectal. En revanche, plus de 60% des familles répondant à ces critères ont une mutation délétère causale du syndrome HNPCC.

Les critères cliniques de Bethesda ont été choisis pour atteindre une meilleure sensibilité. Ils sont réunis chez 25% de patients porteurs d’un cancer colorectal. Cette augmentation de sensibilité se fait au prix d’une pertede spécificité puisque seulement 20 % des familles répondant à ces critères ont une mutation délétère causale du syndrome HNPCC. Cette perte de spécificité est compensée par l’association à un test biologique : dans la démarche diagnostique anglo-saxonne, les patients ayant un cancer colorectal et dont la famille répond à ces critères ont un test biologique (test d’instabilité) réalisé sur leur tumeur, et une recherche génétique est lancée si ce test est positif.

L’identification du syndrome HNPCC dans la population générale des patients ayant une tumeur colorectale pourrait reposer sur 3 attitudes :

  • l’interrogatoire;
  • la description anatomo-pathologique d’une forme histologique très évocatricede ce syndrome (forme médullaire ou indifférenciée à cellules dissociées);
  • l’analyse moléculaire systématique de toutes les tumeurs colorectales basée sur le test d’instabilité (tumeur MSS pour «micro-satellite stable» ou MSI pour «micro-satellite instable»).

La sensibilité de l’approche par interrogatoire est moyenne : la détection par les critères d’Amsterdam manque au moins 80% des cas de syndrome HNPCC, celle utilisant les critères de Bethesda en manque au moins 23% [2]. Ainsi, la méthode la plus sensible à l’heure actuelle consisterait peut-être à réaliser une analyse moléculaire systématique des cancers colorectaux,comme cela a été proposé récemment, en arguant du fait que certaines familles ont un authentique syndrome HNPCC sous une forme trompeuse (sauts de génération, cancers plus tardifs). Une évaluation du rapport coût-efficacité reste à faire pour cette approche prometteuse.

Les gènes impliqués dans le syndrome HNPCC

» Quels gènes ?

Il existe de nombreux systèmes de réparation de l’ADN dans nos cellules, et seul l’un de ces systèmes est responsable du syndrome HNPCC. Dans ce système de réparation précis, une dizaine de protéines sont impliquées, représentant autant de gènes cibles potentiels pour une maladie génétique. En pratique, 4 gènes sont actuellement testés progressivement au cours du travail de «routine» d’analyse génétique : MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2. MLH1 et MSH2 sont les plus importants en fréquence, puisque 85% des mutations concernent l’un de ces 2 gènes (10% pour MSH6, moins de 5% pour PMS2).

» Quelles mutations ?

Les anomalies génétiques responsables de ce syndrome sont de deux types principaux : soit des mutations ponctuelles (sortes de fautes d’orthographe sur le gène) ou de larges modifications emportant une part importante du gène. Les mutations ponctuelles sont détectées par les méthodes de détection de routine comme le séquençage, et permettent un diagnostic en 6 à 9 mois dans les laboratoires bien équipés actuels pour les 2 gènes majeurs (MLH1et MSH2). Lorsque cette recherche est négative, le deuxième type d’anomalies peut être recherché puisque 20% des mutations de MLH1 et jusqu’à 45 % des mutations de MSH2, dans des séries récentes, sont de ce type [3]. Lorsque cette étape est négative, une recherche sur d’autres gènes (MSH6,PMS2) ou d’autres types de mutations (promoteur du gène) peut être réalisée : il s’agit alors plus de recherche quede routine et cette étape est forcément plus longue (plusieurs années). Ainsi, la recherche de mutation s’est nettement accélérée ces dernières années, en 2 étapes principales (3 mois environ pour la première, 6 mois pour une analyse standard) mais reste complexe et parfois très longue.

» Nouveaux gènes et tableaux cliniques atypiques

– MSH6 : une mutation de ce gène entraîne une prédisposition aux tumeurs habituelles du spectre HNPCC. Cette prédisposition semble moins forte que pour les gènes MLH1et MSH2, et certains patients porteurs ne développeront pas de cancer. Ainsi, seulement 30 % des femmes porteuses d’une mutation de MSH6 développeront un cancer colorectal au cours de leur vie (versus 60 %environ pour les 2 gènes majeurs). A l’opposé, 70% environ de ces femmes développeront une tumeur de l’utérus,cequi est supérieur au risque cumulé pour une mutation plus classique [4]. Globalement, les mutations de MSH6 sont plus souvent identifiées dans des familles atypiques : cancers tardifs, sauts de génération (défaut de pénétrance), ce qui rend le diagnostic de syndrome familialencore plus difficile.

– PMS2 : les mutations du gène PMS2 sont responsables d’une prédisposition à toutes les tumeurs du spectre HNPCC. La complexité vient du mode de transmission qui serait soit récessif soit dominant. Plusieurs cas de mutation homozygote (chacun des 2 allèles porte une mutation qui est en général différente, saufen cas de consanguinité) ont été décrits pour ce gène. Ces formes homozygotes sont responsables de cancers très précoces (avant 15 ans), et d’une fréquence relativement élevée de tumeurs cérébrales qui sont des gliomes (syndrome de Turcot). La possibilité de développer un syndrome HNPCC pour les patients porteurs de mutation à l’état hétérozygote, comme pour les autres gènes du syndrome HNPCC, fait l’objet de discussions. Plusieurs cas ont cependant été rapportés, et comme MSH6, il semble s’agir de cas tardifs, avec sauts de génération et donc pénétrance incomplète. Cette atypie des familles MSH6 et PMS2 est encore plus flagrante si l’on recherche le syndrome HNPCC dans l’ensemble des cancers colorectaux, par les tests biologiques : dans l’article de Hampel, sur 1066 cancers testés, 5 des 23 mutations identifiées l’étaient chez des cas indexes âgés (> 60 ans) avec une histoire familiale peu évocatrice, et 3/5 correspondaient à une mutation de MSH6 ou PMS2 [2].

– MYH : ce nouveau gène de prédisposition à la polypose adénomateuse familiale pourrait être impliqué dans certaines formes familiales de cancer colorectal pour lesquelles aucune mutation classique des autres gènes de réparation n’a été identifiée. Une étude préliminaire publiée sous forme de résumé au congrès américain de 2005 suggère un lien entre MYH et certaines familles à risque de cancer colorectal : sur 9 mutations de MYH de patients porteurs de polypes adénomateux multiples et ayant une histoire familiale de cancer colorectal, 9/9 répondaient à au moins 1 critère de Bethesda, 5/9 àau moins 3 critères, et 2/9 aux critères d’Amsterdam [5].

Principes de la prise en charge clinique

» Surveillance

Le principe de la surveillance des patients par colonoscopie ne fait l’objet d’aucune discussion actuellement, puisque ce suivi permet une réduction de 62% de l’incidence des cancers, et diminue la mortalité globale d’une série de patients de 65% par comparaison avec un groupe contrôle [6]. Seul l’âge de début du suivifait l’objet d’une discussion dans le cas d’un syndrome HNPCC confirmé : 25 ans pour les recommandations internationales, 20 ans voire18 ans pour certaines équipes en particulier françaises [7]. La chromoscopie (indigo-carmin en général) est utilisée par de nombreuses équipes, et fait l’objet de recommandations d’experts. Elle est précieuse en pratique, même si son apport spécifique mérite d’être évalué de façon prospective plus précisément.

La surveillance de l’utérus (adénocarcinome de l’endomètre) est probablement importante, même si son intérêt n’a jamais été démontré dans une tumeur dont les symptômes (métrorragies) sont précoces et permettent dans 95% des cas un traitement curatif. Les recommandations internationales sont l’échoendoscopie intra-vaginale tous les ans ou 2 ans. Certains proposent des méthodes plus agressives qui méritent d’être évaluées dans ce syndrome comme l’hystéroscopie, ou le frottis aspiratif [7].

» Traitement prophylactique

COLECTOMIE

Compte tenu des données d’efficacité de la surveillance prospective, la colectomie prophylactique n’est logiquement pas proposée chez les porteurs de mutation. Ceci est d’autant plus vrai dans certains sous-groupes comme les femmes porteuses d’une mutation de MSH6 dont 70 % ne développeront pas de cancer colorectal au cours de leur vie. Une question importanteest celle du choix entre colectomie subtotale versus hémicolectomie chez un patient porteur d’une mutation délétère. Les recommandations internationales conseillent la première option devant le risque élevé de cancer métachrone (20-54%) sur le côlon restant versus 12% à 12 ans (cequi est déjà beaucoup) pour le cancer du rectum après colectomie subtotale [8, 9]. Cette attitude a été remise en question récemment par un groupe de consensus français [7]. Une étude prospective basée sur les méthodes de surveillance optimisée moderne comme la chromoscopie, permettrait de trancher entre ces recommandations contradictoires [7]. L’attitude dans le cas d’un cancer rectal inaugural est en revanche plus nuancée, devant la lourdeur et les conséquences plus importantes d’une coloproctectomie avec anastomose iléo-anale.

HYSTÉRECTOMIE

L’hystérectomie prophylactique n’est pas recommandée, et encore une fois l’efficacité de la surveillance morphologique n’est pas démontrée dans ce site de surveillance clinique plus aisée que le côlon. En revanche, et en particulier chez une femme ménopausée, se pose la question d’une hystérectomie prophylactique emportant alors les ovaires (puisqu’il existe un risque de néoplasie ovarienne bien plus difficile à diagnostiquer) au moment de la colectomie lorsqu’un cancer colique a étéidentifié. Plus récemment, une hystérectomie prophylactique a été proposée dans le contexte d’une mutation de MSH6 (risque cumulé d’adénocarcinome endométrialde 70% sur la vie).

OESTRO-PROGESTATIFS

Il n’est pas rare de constater une crainte des œstro-progestatifs chez certains médecins dans le cadre du syndrome HNPCC. Or, il n’existe aucune contre-indication, puisque au contraire il est démontré que les œstrogènes diminuent le risque de carcinome de l’endomètre. Au contraire, la prescription d’un stérilet dans ce contexte n’a aucune logique puisque ce dispositif crée une inflammation chronique qui pourrait elle favoriser (sans que cela ait été démontré) l’apparition de phénomènes dysplasiques.

ESTOMAC

La détection et l’éradication de la bactérie Helicobacter pylori dans les contextes familiaux de prédisposition au cancer gastrique, dont fait partie le syndrome HNPCC, est une recommandation consensuelle sans étude spécifique publiée. La logique est de réaliser cette éradication à un âge jeune (20 ans?).

LE CAS DES SYNDROMES FAMILIAUX SANS MUTATION IDENTIFIÉE

Les patients et apparentés ayant un important contexte familial évoquant un syndrome HNPCC (critères d’Amsterdam), sans mutation identifiée, étaient en général soumis à une surveillance lourde identique à celle recommandée pour ce syndrome (coloscopie tous les 2 ans, suivi de l’endomètre). Un article récent apporte des arguments forts pour proposer une attitude de surveillance «allégée» dans cette situation,àcondition de pouvoir disposer de tests biologiques sur tumeur, négatifs (absence d’instabilité des microsatellites, absence de perte d’expression des protéines de réparation de l’ADN en combinant les 4 protéines MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2). Dans cette situation, le risque de cancer colique, bien que supérieur à celui de la population générale, est très inférieur à celui des patients HNPCC/tests biologiques positifs et le risque de cancers associés est nul : cancer de l’endomètre en particulier. Il semble bien s’agir d’un risque familial différent lié à un autre mode de prédisposition, appelé par les auteurs «cancer colorectal familialde type X» [10]. Dans cette situation, seule l’identification de nouveaux gènes de prédisposition pourra faire progresser la prise en charge.

Conclusion

Les moyens de diagnostic du syndrome HNPCC ont largement progressé ces dernières années et presque tous les centres hospitaliers ont accès aux tests de dépistage biologiques et génétiques.

La difficulté reste l’identification des familles à risque, qui repose beaucoup sur la vigilance et l’information des praticiens. La prise en charge classique est maintenant bien codifiée, mais la détection des cancers extra-coliques, qui représentent la principale cause de surmortalité dans cette population spécifique, est la prochaine étape. Ceci nécessite une évaluation de différents examens par site (écho-endoscopie intra-vaginale ou hystéroscopie, capsule vidéo-endoscopique, recherche d’une cytologie urinaire anormale) non validés actuellement pour le dépistage bien que fortement recommandés pour l’adénocarcinome de l’utérus qui est le 2e cancer en fréquence. Malgré les progrès récents, la part du syndrome HNPCC dans les cancers colorectaux plafonne à 2 ou 3%. Dans les années à venir, la principale avancée pourrait donc venir de l’identification de nouveaux gènes de prédisposition qui couvriraient mieux les 15 à 20% de cancers colorectaux survenant en contexte familial.

RÉFÉRENCES

1. Umar A, Boland CR, Terdiman JP, et al. Revised BethesdaGuidelines for hereditary nonpolyposis colorectal cancer (Lynch syndrome) and microsatellite instability. JNatl Cancer Inst 2004;
96: 261-8.

2. Hampel H, Frankel WL, Martin E, et al. Screening for the Lynch syndrome (hereditary nonpolyposis colorectal cancer). NEngl JMed 2005; 352: 1851-60.

3. Baudhuin LM, Ferber MJ, Winters JL, et al. Characterization of hMLH1 and hMSH2 gene dosage alterations in Lynch syndrome patients. Gastroenterology 2005; 129: 846-54.

4. Hendriks YM, Wagner A, Morreau H, et al. Cancer riskinhereditary nonpolyposis colorectal cancer due to MSH6 mutations: impact on counseling and surveillance. Gastroenterology 2004; 127: 17-25.

5. Jo W. Gastroenterology 2005;128: A144 (abstr).

6. Jarvinen HJ, Aarnio M, Mustonen H, et al. Controlled 15-year trialon screening for colorectal cancer in families withhereditary nonpolyposis colorectal cancer [see comments]. Gastroenterology 2000;
118: 829-34.

7. Olschwang S, Bonaiti C, Feingold J, et al. [Identification and management of HNPCC syndrome (hereditary non polyposis colon cancer), hereditary predisposition to colorectal and endometrial adenocarcinomas]. Bull Cancer 2004; 91: 303-15.

8. Rodriguez-Bigas MA, Vasen HF, Pekka-Mecklin J, et al. Rectal cancer riskinhereditary nonpolyposis colorectal cancer after abdominal colectomy. International Collaborative Groupon HNPCC. Ann Surg1997;225: 202-7.

9. Lee JS, Petrelli NJ, Rodriguez-Bigas MA. Rectal cancer in hereditary nonpolyposis colorectal cancer. Am JSurg 2001; 181: 207-10.

10. Lindor NM, Rabe K, Petersen GM, et al. Lower cancer incidencein Amsterdam-Icriteria families without mismatch repair deficiency: familial colorectal cancer type X. Jama 2005; 293: 1979-85.