Laryngite, asthme et reflux gastro oesophagien : où est le vrai ?

Introduction

De nombreuses manifestations respiratoires et ORL (dites « supra-sophagiennes ») sont susceptibles d'être en rapport avec un reflux gastro­sophagien (RGO) (Tableau I). Il est relativement fréquent de mettre en évidence un RGO chez les patients rapportant de tels symptômes, mais compte tenu de la fréquence du RGO dans la population générale, association ne signifie pas lien de causalité. C'est toute la difficulté de la prise en charge diagnostique et thérapeutique de ces pathologies.

Le RGO peut induire des manifestations supra-sophagiennes soit directement par l'intermédiaire de micro-aspirations du contenu gastrique qui remonte jusqu'au niveau du carrefour pharyngo-laryngé, soit indirectement par l'intermédiaire d'un réflexe vago-vagal. Ces 2 mécanismes ont été mis en évidence expérimentalement à la fois chez l'homme et chez l'animal.

Les manifestations ORL et respiratoires seront ici abordées séparément car par certains aspects, les problèmes posés sont différents.

 

RGO et pathologie ORL

Parmi les symptômes ORL susceptibles d'être en rapport avec un RGO, les plus fréquemment rapportés et étudiés sont l'enrouement chronique, les brûlures et paresthésies pharyngées et le « globus hystericus ». Ces symptômes sont des motifs fréquents de consultation auprès du médecin généraliste puis de l'ORL. La toux est plutôt considérée comme un symptôme d'appel respiratoire le plus souvent pris en charge par les pneu­mologues. La prise en charge de ces symptômes est difficile car les pathologies organiques sous-jacentes sont finalement assez peu fréquentes : néoplasies, allergies, infections. Cela signifie probablement qu'une grande partie de ces symptômes ont une composante fonctionnelle plus ou moins importante, d'où les difficultés de prise en charge. La tentation est donc grande d'attribuer ces symptômes à une pathologie organique, et donc d'incriminer le RGO, ce qui permet de confier le patient à un autre spécialiste. Il en résulte des allers-retours fréquents entre spécia­listes que les malades perçoivent souvent de manière très négative.

Le diagnostic de RGO

Le diagnostic de RGO peut reposer sur l'interrogatoire, la laryngoscopie, et les examens complémentaires habituels (endoscopie et pH-métrie). Chez les patients ayant des symptômes ORL inexpliqués, des signes typiques de reflux (pyrosis et régurgitations acides) sont présents dans 20 %

des cas [1] et permettent, compte tenu de leur spécificité, de faire le diagnostic de RGO. Ces symptômes sont souvent au second plan et ne re
­présentent pas la plainte principale des patients. Il faut donc savoir les rechercher.
Peut-on évoquer la présence d'un RGO sur les données de l'examen laryngoscopique ? Il a été décrit de multiples aspects du larynx plus ou

moins spécifiques du RGO ; ces aspects incitent nos collègues ORL à considérer avec force qu'un RGO est la cause des symptômes. Initialement, les signes laryngés étroitement associés à la présence d'un RGO étaient représentés essentiellement par les ulcérations des cordes vocales. En fait, ces lésions que l'on peut qualifier d'objectives sont rares ; les aspects les plus souvent décrits sont l'dème et l'érythème (la fameuse « la­ryngite postérieure ») dont l'évaluation est nettement plus subjective [2] et qui peuvent être observés dans 70 % des cas chez des sujets totale­ment asymptomatiques [3]. Par analogie, on peut rappeler la valeur attribuée par les gastroentérologues à une sophagite érythémateuse ou une gastrite non ulcérée pour expliquer des douleurs épigastriques.

Le rôle de l'endoscopie est discuté mais nous paraît essentiel. La conférence de consensus franco-belge sur le RGO de l'adulte recommande la réalisation de l'endoscopie en 1 ère intention chez les patients ayant des symptômes atypiques susceptibles d'être attribués au reflux [4]. La pré ­valence de l'sophagite, permettant d'affirmer la présence d'un RGO, est diversement appréciée dans cette population de malades, de 20 à 40 %. Dans une étude récente portant sur plus de 400 malades avec symptômes ORL, l'équipe de Louvain a observé 52 % d'sophagites peptiques et 5 % d'sophage de Barrett, alors que chez les patients ayant uniquement des symptômes typiques, les chiffres étaient respectivement de 38 et 4,5 % [1]. Une fois sur deux, l'endoscopie permet aisément et rapidement le diagnostic de RGO sous réserve que le patient ne prenait pas préa­lablement des IPP, ce qui est malheureusement très fréquent. En effet, la prévalence élevée de l'sophagite dans l'étude citée était probable­ment due aux restrictions de prescription des IPP en Belgique. Il faut garder à l'esprit qu'il est important de réaliser une endoscopie chez un

patient de plus de 50 ans, suspect de RGO pour dépister les lésions potentiellement dangereuses comme l'sophage de Barrett. La pH-métrie sophagienne de 24 heures est toujours considérée à juste titre comme le « gold standard » pour établir le diagnostic de RGO. Toutefois, plusieurs écueils doivent être rappelés. La sensibilité de la pH-métrie des 24 heures n'est pas parfaite. Elle est de 90 % chez les sujets avec sophagite [4], c'est-à-dire chez qui le diagnostic de RGO pathologique est certain. Il est possible, voire probable, que cette sensi­bilité soit moindre en cas de symptômes atypiques chez un sujet sans sophagite. L'exposition acide peut être mesurée au niveau de l'so-phage distal, 5 cm au-dessus du SIO, mais également au niveau de l'sophage proximal voire au niveau pharyngé. Ces pH-métries « proxi­males » sont encore mal standardisées et d'interprétation difficile. Les résultats sont très discordants d'une équipe à l'autre. Au total, les pH-métries sophagiennes (quel que soit le niveau considéré) sont considérées comme pathologiques dans 30 à 60 % des cas [5, 6]. Enfin, l'uti-lisation du marqueur d'événement est inutile dans le cas de symptômes ORL qui sont le plus souvent permanents ou très prolongés, contraire­ment aux manifestations respiratoires ou douloureuses thoraciques.

Enfin, le développement des études couplées du pH et de l'impédance sophagiens ouvrira peut-être de nouveaux horizons. Cette technique permet l'enregistrement des reflux acides et non acides et surtout l'évaluation de leur extension proximale [7] mais nous n'avons pas pour l'ins-tant de données fiables dans l'exploration des manifestations ORL.

Au total, la présence d'un RGO peut être suspectée sur des données laryngoscopiques, mais il sera affirmé par la présence de signes typiques et/ou les données endoscopiques et pH-métriques.

 

» Le traitement anti-reflux

De très nombreuses études ont évalué l'efficacité des traitements anti-reflux pour soulager les symptômes ORL. Le plus souvent, il s'agit d'études ouvertes évaluant l'efficacité de 2-3 mois avec des doubles doses d'IPP, rapportant de 50 à 70 % de réponses [8]. Outre le fait qu'il s'agit d'études ouvertes, il peut exister des discordances entre l'amélioration des lésions macroscopiques et l'évolution des symptômes : dans une étude ré­cente, 63 % des patients traités avaient une amélioration des signes endoscopiques de laryngite mais il n'y avait pas d'amélioration sympto­matique significative [9]. On peut s'interroger sur la valeur de l'amélioration de signes aussi subjectifs qu'un dème ou un érythème laryngés, signes présents chez 90 % des patients.

Au total, 5 études randomisées contrôlées contre placebo ont été publiées, dont 4 sont négatives. La seule étude positive (11 patients par groupe !) rapporte une amélioration sous traitement dans 50 % des cas contre seulement 10 % avec le placebo [10], ce qui est exceptionnellement bas dans ce type d'étude. L'étude la plus complète n'est pour l'instant disponible que sous forme de résumé [5] : 195 patients ont été inclus dans cette étude, 95 dans le groupe esoméprazole (40 mg deux fois par jour) et 50 dans le groupe placebo. Tous avaient des symptômes ORL et une laryngite endoscopique, 30 % avaient une pH-métrie sophagienne anormale. Les patients avec pyrosis modéré ou sévère étaient exclus. A 16 semaines, respectivement 14,7 et 16 % des patients étaient asymptomatiques sous IPP et placebo. Une amélioration était observée dans 42 % et 46 % des cas respectivement. Cette étude montre que l'amélioration des symptômes sous traitement ne permet pas de conclure quant à la responsabilité du RGO dans les signes ORL rapportés par les patients.

EN PRATIQUE , QUE PROPOSER ?

L'association RGO et symptômes ORL est fréquente mais établir un lien de cause à effet n'est pas chose facile. La spécificité des signes laryn­goscopiques les plus fréquemment observés est médiocre, il n'y a pas de critère endoscopique ou pH-métrique prédictif d'un lien de causalité, et l'efficacité du traitement anti-reflux ne peut être considérée comme un argument suffisant, si l'on en croit le résultat des études randomi­sées. Deux attitudes s'opposent :

• Le traitement empirique d'emblée par double dose d'IPP pendant 2 à 4 mois, attitude prônée par les spécialistes américains [2]. L'endoscopie doit, selon nous, être tout de même proposée aux patients de plus de 50 ans. En cas d'efficacité, on pourra difficilement éliminer l'éventua-lité d'un effet placebo, et se pose le problème de la conduite à tenir sur le long terme : maintenir ou diminuer les doses ? Proposer une in­tervention chirurgicale si le patient est IPP-dépendant ? Dans ce cas, il est évident qu'il faudra tôt ou tard documenter le RGO. Si le traite­ment est inefficace, peut-on définitivement éliminer le RGO ? Faut-il prolonger le traitement ? Envisager des examens sous traitement (endoscopie et pH-métrie) dont l'interprétation sera délicate ?

• L'autre attitude consiste à documenter l'existence d'un RGO selon les recommandations de la conférence de consensus. Selon nous, il n'y a pas dans la littérature d'argument nouveau susceptible de modifier ces recommandations. Dans un contexte où tant de paramètres sont sub­jectifs, difficiles à évaluer (les symptômes, les aspects laryngoscopiques), il nous semble important de s'appuyer sur des données objectives, qu'il est relativement facile d'obtenir avec l'endoscopie et la pH-métrie. La sensibilité de la pH-métrie sophagienne n'étant pas parfaite, un traitement par double dose d'IPP pendant 3 mois peut se discuter si la suspicion de RGO est forte. Si ce traitement est inefficace, le gas­troentérologue sera plus crédible pour affirmer que le RGO n'est pas responsable des symptômes du patient qui pourra retourner consulter son ORL !

Au total, il est grand temps d'expliquer à nos collègues ORL que toute laryngite, même postérieure, n'est pas synonyme de RGO, loin s'en faut ! Il est certain qu'un sous-groupe de malades a des symptômes et des signes laryngoscopiques en rapport avec un RGO et il revient aux gas­troentérologues de documenter ce reflux par les examens adéquats. Néanmoins, une proportion importante de patients a des symptômes qui ne sont pas liés au RGO (même si celui-ci est présent) et qui correspondent probablement pour une grande partie à des manifestations fonc­tionnelles « pharyngo-laryngées ».

 

RGO et pathologie respiratoire

» Toux chronique

La toux chronique est un symptôme extrêmement fréquent dont les causes sont multiples, ORL et cardiorespiratoires. Le RGO est une cause classique de toux chronique qui ne doit être envisagée qu'après avoir éliminé les causes non digestives. A titre d'exemple, même en l'absence de symptôme respiratoire « classique », une toux chronique peut être l'unique expression symptomatique d'un asthme. Il sera assez facile d'ob-tenir le diagnostic en mettant en évidence une hyperréactivité bronchique par la réalisation d'un test à la méthacholine (recherche d'une broncho-constriction lors de l'inhalation d'un agoniste cholinergique) [11]. L'expérience montre que, si les pneumologues réalisent souvent les EFR classiques, le test à la méthacholine est plus rarement effectué, alors que l'asthme est considéré comme l'étiologie d'une toux chronique dans 25 % des cas.

LE DIAGNOSTIC DE RGO

Le RGO est considéré comme une cause de toux chronique dans 10 à 40 % des cas selon les critères diagnostiques utilisés [11]. Le diagnostic de RGO peut être fait sur la présence de symptômes typiques de reflux qui sont, comme dans les manifestations ORL, présents dans 20 à 25 % des cas. La grande majorité des patients n'a donc pas de symptôme typique de reflux, ce qui impose la réalisation d'examens complémentaires.

L'endoscopie peut faire le diagnostic de RGO en cas d'sophagite peptique. Cet examen pourrait être très « rentable » en terme de diagnostic si l'on en croit la récente étude belge, précédemment citée, qui rapporte 66 % d'sophagite chez les patients avec toux chronique inexpliquée [1]. Les résultats de la pH-métrie sophagienne des 24 heures dépendent de la population étudiée, c'est-à-dire du soin avec lequel les autres étiologies de toux chronique ont été éliminées. Ainsi, les sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positives et négatives pourraient être de l'ordre de 100 % dans les populations les mieux sélectionnées [11]. Contrairement aux manifestations ORL décrites dans le chapitre précédent, il est possible d'établir une corrélation temporelle entre les épisodes de toux et les reflux enregistrés en pH-métrie, même si les patients ne signalent avec le marqueur d'événement que 10 à 40 % des épisodes de toux [12, 13]. L'évaluation de la probabilité d'association symptomatique (« SAP »), maintenant possible avec la plupart des logiciels de pH-métrie, est particulièrement utile lorsque les symptômes sont fréquents pour éliminer la possibilité que l'association symptôme-reflux soit liée au hasard. Environ 1/3 des malades ont un SAP significatif témoignant d'une asso­ciation positive entre toux et épisodes de reflux [14]. Dans une étude récente, évaluant la toux par des profils de manométrie ambulatoire et non par l'intermédiaire du marqueur d'événement activé par le patient, environ 1/3 des malades avec SAP positif avait majoritairement des épisodes de reflux induits par la toux [13]. Sans cette technologie non utilisable en routine, les reflux auraient été à tort considérés comme in­duits par le reflux. Dans cette même étude réalisée en étude couplée pH-impédance intraluminale, 1/3 des épisodes de toux étaient associées à des reflux non acides, 14 % des patients ayant un SAP positif uniquement pour les reflux non acides [13].

L' EFFET DES TRAITEMENTS ANTI – REFLUX

L'efficacité d'un traitement anti-reflux suggère une relation de cause à effet entre le reflux et la toux, même si celle-ci ne peut être affirmée. Une étude randomisée a montré que seuls 35 % des malades avec reflux pathologique en pH-métrie répondaient à un traitement par omépra­zole à fortes doses (80 mg/j) [15]. En revanche, aucun des patients avec pH-métrie normale n'a répondu au traitement. Dans une autre étude randomisée en cross-over [16], il était constaté que la toux continuait à s'améliorer sous placebo chez les patients initialement sous omépra­zole, l'amélioration ne devenant significative qu'en fin de période placebo. Il est admis que le traitement doit être administré à double dose pendant au 2 à 4 mois. Il est possible que certains patients résistant au traitement aient un reflux acide mal contrôlé par le traitement, ce qui pourrait justifier une étude en pH-métrie sous traitement. La possibilité d'une toux liée à un reflux non acide sera certainement évoquée plus fréquemment avec le développement de l'impédancemétrie intraluminale sophagienne [13].

EN PRATIQUE

La problématique de la toux chronique est similaire à celle des manifestations ORL précédemment évoquées. Il nous semble préférable de pro­poser de documenter le RGO par les examens appropriés, à savoir l'endoscopie et la pH-métrie sophagienne avec analyse de l'association symptomatique, plutôt qu'un traitement d'épreuve par IPP qui peut toutefois se discuter, si les examens sont négatifs, si la suspicion de RGO est forte. Le rôle du reflux non acide sera probablement mieux évalué dans un futur proche.

 

» Asthme

La problématique est différente lorsque que l'on considère les relations éventuelles entre asthme et RGO : il ne s'agit plus de faire le diagnostic de manifestations atypiques mais de rechercher un facteur étiologique ou aggravant de la maladie asthmatique qui est en général documentée facilement (symptômes, EFR, test à la méthacholine). La prévalence des 2 pathologies étant très élevée, il faut rappeler une fois de plus qu'as-sociation ne signifie pas forcément relation de cause à effet. La démarche consiste donc à diagnostiquer le RGO puis dans un deuxième temps d'établir la relation causale.

DIAGNOSTIC DE RGO

La prévalence du RGO chez les patients asthmatiques est très élevée, variant selon les critères diagnostiques de 30 à 80 % [17], même s'il est possible qu'un biais de sélection explique les prévalences les plus élevées de RGO. La prévalence des symptômes typiques de RGO chez les asthmatiques est de l'ordre de 70 à 80 %. Une étude récente portant sur plus de 200 asthmatiques non sélectionnés a montré une prévalence du pyrosis, des régurgitations acides et de la dysphagie chez respectivement 71 %, 45 % et 22 % des asthmatiques (51 %, 30 % et 5 % chez les sujets témoins). La prévalence des symptômes diurnes et nocturnes était significati­vement plus fréquente chez les asthmatiques [18].

L'endoscopie peut affirmer le diagnostic de RGO en cas d'sophagite ou d'sophage de Barrett dans environ 40 % des cas [19]. La prévalence du reflux en pH-métrie est très élevée et peut atteindre 80 % chez des asthmatiques [20]. Il est plus intéressant de considérer qu'un reflux « si­lencieux » (absence de symptôme digestif évocateur) peut être mis en évidence chez 62 % des patients [21].

ÉTABLIR LE LIEN DE CAUSALITÉ

Le problème posé n'est pas de considérer si le RGO peut être la cause de l'asthme, mais de rechercher s'il s'agit d'un facteur favorisant ou ag­gravant. Un tiers des asthmatiques déclarent avoir des symptômes respiratoires nocturnes (sifflement, suffocation ou toux) précédés de brû­lures rétrosternales ou de régurgitations, et 42 % pensent que leurs symptômes respiratoires sont en rapport avec leur RGO [18]. En pH-métrie, une association temporelle entre reflux et symptômes respiratoires peut être documentée dans 45 à 75 % des cas [17], mais cela suppose que le patient ait des symptômes pendant les 24 heures d'enregistrement. De plus, l'association temporelle peut éventuellement signifier que la crise d'asthme a provoqué un reflux.

Finalement, c'est l'efficacité du traitement anti-reflux qui représente le meilleur argument pour établir la causalité. Il est admis, comme pour les autres symptômes supra-sophagiens, qu'une double dose d'IPP pendant 3 mois est nécessaire pour évaluer l'efficacité du traitement, qui devra être appréciée à la fois sur les symptômes de l'asthme et la fonction respiratoire (EFR) [22]. Certaines études ouvertes rapportent jusqu'à 67 % de patients améliorés par le traitement anti-reflux ; toutefois, le nombre d'études randomisées contrôlées contre placebo évaluant les IPP à double dose pendant au moins 8 semaines est faible : seules 2 études ont montré une amélioration des symptômes respiratoires nocturnes (amélioration des symptômes diurnes chez 1/3 des patients dans une étude), et la majorité n'a pas mis en évidence d'effet bénéfique du traite­ment anti-reflux sur la fonction respiratoire [22]. Le seul facteur prédictif de réponse au traitement anti-reflux serait la sévérité du reflux ap­précié en endoscopie ou pH-métrie. Quant à la chirurgie anti-reflux, elle semble fournir des résultats identiques (absence d'étude randomisée), permettant une amélioration des symptômes et une diminution de l'utilisation des bronchodilatateurs mais elle est sans effets sur la fonction respiratoire [23].

Au total, si la prévalence du RGO est très importante chez l'asthmatique, seul un sous groupe de patients (30 à 50 % ?) avec reflux documenté tire bénéfice du traitement anti-reflux d'un point de vue essentiellement symptomatique. La responsabilité du reflux dans les symptômes res­piratoires reste difficile à démontrer, ce qui laisse penser qu'un certain nombre de patients ont des symptômes de RGO induits par la broncho­constriction et/ou les traitements de l'asthme [24]. Enfin, actuellement, le rôle de la composante non acide du reflux dans l'asthme n'est pas connu.

EN PRATIQUE

En pratique, chez l'asthmatique, le RGO symptomatique doit être évoqué, exploré et traité selon les modalités tenant compte des critères habi­tuels (âge, présence de signes d'alarme, réponse au traitement). Lorsqu'un reflux « silencieux » est suspecté d'aggraver ou d'entretenir la ma­ladie asthmatique, il faut avoir recours aux examens complémentaires, en premier l'endoscopie puis la pH-métrie sophagienne. Une fois de plus, cette attitude nous paraît préférable au traitement d'épreuve d'emblée. Si le reflux est documenté, un traitement par double dose d'IPP doit être prescrit pendant au moins 3 mois au terme desquels une réévaluation clinique et fonctionnelle respiratoire doit être réalisée. En l'ab-sence d'amélioration, il peut être utile de proposer des examens sous traitement pour s'assurer que le reflux est bien contrôlé. En cas d'amé-lioration des symptômes respiratoires, la dose minimale efficace devra être recherchée et dans de très rares cas, une fundoplicature pourra être discutée.

 

Conclusion

Les relations entre RGO et symptômes ORL ou respiratoires sont complexes et difficiles à appréhender. Les données réellement objectives man­quent, tant pour caractériser les symptômes ou les aspects laryngoscopiques, que pour évaluer les résultats des traitements anti-reflux. Les études randomisées bien menées sont assez peu nombreuses mais leurs résultats suggèrent par exemple qu'un effet placebo explique certainement en partie l'amélioration de symptômes ORL sous IPP et que la proportion de patients asthmatiques tirant bénéfice d'un traitement anti-reflux a été très largement surestimée jusqu'à une période récente. Dans ce contexte où manquent les données objectives, il nous paraît important de plaider en faveur d'une attitude reposant sur des signes ou des examens complémentaires dont la sensibilité et la spécificité sont bien établies. En clair, plutôt que de rajouter de l'empirisme dans des situations cliniques difficiles, il nous semble légitime de documenter le plus souvent possible la présence d'un RGO dans la mesure où nous avons à notre disposition des moyens accessibles et relativement peu invasifs pour le faire (endoscopie et pH-métrie).

 

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